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Marco Polo

Marco Polo

Titel: Marco Polo Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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le
fond du bassin dont on draguait régulièrement la vase pour servir d’engrais aux
pieds de vigne. De la sorte (kan-kàn ! ecco ! voilà !),
tous les éléments qui peuplaient cet univers miniature étaient interdépendants,
ce qui les rendait si florissants et lui procurait l’aisance.
    — Ingénieux ! m’exclamai-je, cette fois
convaincu pour de bon.
    Les Han de Manzi faisaient preuve de la même
intelligence dans d’autres domaines, et pas seulement les classes privilégiées
mais également le peuple. Un fermier han, en jugeant de l’heure à la hauteur du
soleil dans le ciel, ne faisait pas mieux qu’un paysan vénitien. Cependant, à
l’intérieur, sa femme était capable, rien qu’en appréciant la dilatation des
pupilles de son chat à la lumière déclinante, de décider qu’il était temps de
préparer le repas du soir pour son mari. Le commun des mortels, ici, était
zélé, économe et remarquablement patient. Aucun fermier, par exemple,
n’achetait jamais de fourche. Il repérait un tronc d’arbre terminé par trois
branches flexibles, les liait de façon qu’elles poussent bien parallèles, puis
attendait le nombre d’années nécessaires pour qu’elles aient suffisamment
grandi ; il suffisait alors de scier le tronc pour en tirer un outil
capable de le servir jusqu’à la mort, et ses petits-fils après lui.
    Je fus particulièrement impressionné par l’ambition et
la persévérance d’un jeune garçon de ferme dont j’eus l’occasion de faire la
connaissance. La majorité des Han de la campagne étaient illettrés et s’en
contentaient fort bien. Mais celui-ci avait, je ne sais comment, appris à lire
et se déclarait déterminé à transcender sa condition : il avait emprunté
des livres pour étudier. Ne pouvant pour autant négliger les travaux de la
ferme, étant le seul soutien de parents âgés, il avait attaché un ouvrage aux
cornes de son bœuf et le lisait pendant que l’animal labourait le champ. Le
soir, la maisonnée n’étant pas assez riche pour posséder une lampe à huile, il lisait
à la lueur de vers luisants trouvés dans la journée au creux des sillons.
    Il ne faudrait pas penser pour autant que les Han de
Manzi étaient dotés de toutes les vertus, de tous les talents et autres dignes
attributs. Je vis aussi quelques belles preuves de fatuité, voire de démence.
Un soir, nous arrivâmes dans un village où se déroulait une fête religieuse. Il
y avait bien sûr de la musique, des chants, de joyeux feux de camp brûlaient un
peu partout, et, comme si souvent, la nuit crépitait du bruit de tonnerre et
des éclairs des fiers rameaux aux fleurs éclatantes. Sur la place du village
trônait une table dressée. Elle était recouverte d’offrandes faites aux
dieux : produits les plus fins des fermes locales, flasques de pu-tao et
de mao-tai, porcelets égorgés, carcasses d’agneaux, viandes délicatement
mijotées, splendides compositions florales à l’agencement savamment étudié. Il
y avait un trou au milieu, par lequel chaque villageois, ayant rampé sous la
table, venait passer la tête, la laissait ainsi exposée un instant avant de se
retirer pour laisser la place à un autre. Lorsque, éberlué, je demandai ce que
cela signifiait, mon scribe alla se renseigner et vint me rapporter :
    — Lorsque les dieux jettent un œil sur les
sacrifices amassés là pour eux, ils voient les têtes des villageois. Aussi
chacun est-il persuadé que les dieux, l’ayant vu mort sur la table du village,
le rayeront de la liste des mortels à qui infliger des maladies, des chagrins,
voire la mort.
    J’aurais pu en rire. Mais il me sembla que, quelle que
fut la simplicité d’esprit de ces gens, cette pratique était ingénieuse. Après
avoir passé un certain temps à Manzi, avoir souvent admiré les preuves
éclatantes de l’intelligence de ses habitants et déploré presque autant de
situations dénotant leur légèreté d’esprit, j’en vins à formuler une
conclusion. Les Han possédaient un prodigieux intellect, avaient du
savoir-faire et de l’imagination. Mais leur principale faiblesse était
celle-ci : ils gaspillaient trop souvent leurs dons dans l’observation
fanatique de leurs croyances religieuses, d’une évidente sottise. Si les Han
n’avaient pas été si obnubilés par leurs bondieuseries et si enclins à
rechercher « la sagesse plutôt que la connaissance » (comme me
l’avait fait un jour remarquer l’un d’eux), je

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