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Marcof-le-malouin

Marcof-le-malouin

Titel: Marcof-le-malouin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ernest Capendu
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À mesure qu’il chantait, le sang lui montait au visage, ses gestes devenaient plus rapides, et ses pieds martelaient le sol en exécutant une sorte de danse assez semblable à celle des sauvages. C’était un spectacle vraiment fantastique que celui qu’offrait cet homme au corps décharné dansant et chantant autour d’un animal destiné au sacrifice. Les rayons tremblants de la lune éclairaient cette scène et lui donnaient un aspect lugubre.
    Carfor n’était plus le même. Le conspirateur républicain, l’agent révolutionnaire, avaient complètement disparu. Ils cédaient la place au fils des Celtes, au descendant des druides, au vieil enfant de la superstitieuse Armorique. Évidemment Carfor avait foi en ce qu’il accomplissait. Il se regardait comme le prêtre d’une religion infernale. À force de jouer le rôle de sorcier, il s’était tellement identifié avec son personnage que, malgré sa volonté peut-être, il en était venu à croire à ses cabales magiques. Keinec était brave, et pourtant il se sentit frissonner en présence de l’exaltation fanatique et hallucinée du berger sorcier.
    Après quelques minutes de chants et de danse, Carfor alluma une branche de bruyère, il versa quelques gouttes de l’eau-de-vie enfermée dans sa gourde sur le reste du bûcher, et il approcha la flamme. Aussitôt une fumée épaisse s’éleva, et enveloppa l’autel et la victime. Carfor continua sa pantomime entremêlée de paroles prononcées tantôt d’une voix brève et impérative, comme s’il donnait des ordres à quelque puissance invisible ; tantôt murmurées sur le ton de la prière.
    Lorsque la flamme s’éleva claire et brillante, illuminant la grève, il entra dans le cercle de feu et s’approcha de l’autel. Saisissant un couteau affilé, il écarta les pieds de la victime, et, avec une adresse merveilleuse, il éventra le bouc d’un seul coup. L’animal ne poussa pas une plainte. Carfor sourit de plaisir. Sa rude physionomie, éclairée par les rayonnements du feu, offrait une expression sauvage et inspirée. Le bouc éventré, le berger plongea ses mains dans les entrailles palpitantes, et les ramena à lui en les arrachant. Il les déposa sur la pierre. Puis il sépara la tête du tronc, et il jeta dans le brasier ardent le reste du corps. Alors il se prosterna et demeura en prière pendant deux ou trois minutes. Se relevant ensuite il se pencha avidement vers les entrailles, et il commença l’examen avec une attention minutieuse.
    – Les poules blanches ? demanda-t-il à Keinec.
    Celui-ci s’empressa de les lui remettre. Carfor recommença pour les poules ce qu’il avait fait pour le bouc. Lorsque les entrailles des trois victimes furent rassemblées en un monceau sanglant, le berger éparpilla le feu qui commençait à s’éteindre faute d’aliments. Il alluma une torche de résine, et il la planta dans la fente d’un rocher voisin.
    – Approche ! dit-il à Keinec.
    Le marin, dont l’imagination était frappée par ce qu’il venait de voir, hésita en se signant…
    – Approche sans crainte ! répéta Carfor.
    Keinec obéit.
    – Voici le livre du destin ! continua le sorcier en désignant les entrailles des victimes immolées. Regarde et écoute, car ton sort y est tracé en lettres ineffaçables ! Combien m’as-tu apporté d’animaux, Keinec ?
    – Trois, répondit le jeune homme.
    – Trois seulement, n’est-ce pas ? Eh bien ! vois, cependant, il y a là quatre foies ! Quatre foies rouges, sains et sans taches. Regarde, Keinec ! Celui du bouc noir était double ! Signe infaillible de succès et de prospérités ! Maintenant regarde encore ! examine les cœurs. Ils sont tous les trois larges, et leurs palpitations sont égales. Heureux présages, Keinec ! Heureux présages ! Vois comme ces entrailles glissent facilement entre mes mains. Elles ne sont ni souillées de pustules, ni déchirées, ni desséchées, ni tachetées. Heureux présages, Keinec ! Heureux présages ! Regarde le fiel du bouc noir, il est volumineux et facile à dédoubler. Indices certains de débats violents, de combats sanglants, mais dont l’issue te sera favorable ! Va, mon gars. Les esprits sont avec toi ; ils te soutiennent ! Yvonne t’appartiendra, et tu tueras Jahoua !…
    En prononçant ces mots, Carfor se laissa glisser sur la grève comme s’il se fût senti à bout de forces. Keinec tressaillit de joie.
    – Elle sera à moi !

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