Marcof-le-malouin
sur le rivage, occupé, en apparence, à contempler les astres.
– Te voilà, mon gars ? dit-il avec étonnement.
– Ne m’attendais-tu pas ? répondit Keinec.
– Si fait ; mais pas par mer…
– Pourquoi ?
– Parce que je pensais que tu aurais peur des esprits…
– Je n’ai peur ni des morts ni des vivants, entends-tu !…
– Ah ! tu es un brave matelot !…
– Il ne s’agit pas de cela. Tu sais ce qui m’amène ? Voici le bouc noir, voici les poules blanches, voilà ma carabine, de la poudre et des balles. Tu as tout ce que tu m’as demandé !
– Je le vois.
– Eh bien ! Parle vite !…
– Tu le veux, Keinec ?
– Parle, te dis-je !
– Écoute-moi donc !
– Attends ! interrompit Keinec. Avant de commencer, rappelle-toi quelle est ma volonté inflexible !… il faut, ou qu’Yvonne soit ma femme ! ou qu’elle meure ! ou que je meure moi-même !…
– Tu n’es pas venu ici pour ordonner !… s’écria Carfor avec violence, mais bien pour obéir ! Orgueilleux insensé, courbe la tête ! J’ai interrogé les astres la nuit dernière, et voici ce qu’ils m’ont répondu :
« Jahoua épousera Yvonne, et pourtant Yvonne ne sera pas la femme de Jahoua !…
– Que veux-tu dire ? demanda Keinec.
– Je veux dire que le mariage à l’église aura lieu quoi que tu tentes pour l’empêcher, car, jusqu’à l’heure où le prêtre aura béni les promis, Jahoua sera invulnérable pour tes balles !…
– Invulnérable ?
– Au moment où il sortira de l’église, il cessera d’être défendu contre toi !… Écoute encore, Keinec, et ne prends pas une résolution avant de m’avoir entendu jusqu’au bout !… Yvonne aime Jahoua. Ne tourmente pas ainsi la batterie de ta carabine et écoute toujours, car je te dis la vérité !… Yvonne aime Jahoua. Yvonne ne pardonnera jamais à son meurtrier si elle le connaît ; il faut donc que Jahoua meure, mais il faut aussi que sa fiancée ignore toujours quelle est la main qui l’aura frappé ! Jahoua doit paraître mourir par un accident. Le jour fixé pour le mariage est celui de la fête de la Soule ! C’est le village de Fouesnan qui, cette année, disputera le prix au village de Penmarckh : les vieillards l’ont décidé. Ce hasard semble fait pour toi !… tu sais qu’il y a souvent mort d’homme à la fête de la Soule ?
– Je le sais.
– Eh bien ! ce jour-là Jahoua peut mourir.
– Après ?
– Yvonne pleurera son fiancé ; mais Yvonne est coquette ! les femmes le sont toutes ! Quand le temps aura calmé sa douleur, elle pensera aux beaux justins et aux jupes de couleurs vives. Elle écoutera, comme elle l’a fait déjà… le plus riche de nos gars…
– Après ?… après ?
– Il te faut donc devenir riche pour ranimer son amour éteint… car elle t’a aimé, Keinec… elle t’a aimé, autrefois… Si tu es riche, elle t’aimera encore…
– Oui.
– Et que feras-tu pour conquérir cette richesse ?
– Tout ce qu’un homme peut faire.
– Tu ne reculeras devant rien ?
– Devant rien, je le jure !
– Alors, Yvonne t’appartiendra, car tu seras riche, c’est moi qui te le promets !
– Comment cela ?
– Ne t’inquiète pas ; j’ai les moyens de te donner une fortune…
– Ne puis-je les connaître ?
– Non !… maintenant du moins !… C’est seulement dans l’heure qui suivra la mort de Jahoua que je pourrai te révéler mes secrets, qui alors deviendront les tiens. Sache seulement qu’avant une année révolue, nous aurons tous deux des trésors cent fois plus considérables que ceux du marquis de Loc-Ronan.
– Tu me le jures, Carfor ?
– Sur le salut de mon âme ! Nous serons riches dans un an !
– Un an ! répéta Keinec, c’est bien long !
– Je ne puis rien pour toi avant cette époque.
– Et si d’ici à un an Yvonne allait en aimer un autre ?
– Impossible !
– Pourquoi ?
– Parce que, le jour même de la mort de Jahoua, Yvonne quittera le pays…
– Yvonne quittera le pays ! s’écria Keinec, et où donc ira-t-elle ?
– Je te le dirai quand il sera temps.
– Je veux le savoir à l’instant même !
– Je ne puis te répondre.
– Il le faut cependant.
– Non ! je ne le peux ni ne le veux faire !
Un long silence interrompit la conversation commencée. Carfor, plongé dans des rêveries profondes, paraissait avoir oublié la présence
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