Marcof-le-malouin
son modeste clergé, pour lui offrir l’eau bénite. Le marquis la reçut avec respect, et, saluant amicalement le vénérable prêtre, il le suivit jusqu’à son banc seigneurial. Ce banc, plus élevé que les autres, et situé près du maître-autel, était remarquable par les sculptures qui le décoraient. C’était un cadeau qu’un des ancêtres du marquis avait fait à la paroisse, car, bien qu’il y eût une chapelle au château, l’habitude de la famille de Loc-Ronan était, depuis des siècles, d’aller entendre la messe du dimanche à l’église du village.
Après la célébration de l’office divin, le marquis, reconduit par le recteur, traversa l’église et retourna au château. Les paysans se réunissant suivant leurs fantaisies, leurs habitudes ou leurs amitiés, allèrent, en attendant vêpres, les uns faire une promenade dans les bruyères, les autres vider quelques pichets de cidre en devisant des nouvelles du jour.
Ce dimanche-là, il y avait réunion chez Yvon. La jolie Yvonne, plus charmante encore sous sa riche parure, entraîna ses amies pour leur faire voir les cadeaux de noce de son fiancé. Jahoua et les hommes se réunirent aux vieillards, et s’assirent à la porte en plein air, autour d’une longue table de chêne, sur laquelle circulaient les verres et les pichets.
Déjà la conversation s’engageait joyeuse et bruyante, lorsque l’arrivée d’un nouveau personnage vint porter la gaieté à son apogée. Ce dernier venu était un petit homme d’apparence grêle et délicate, aux jambes un peu arc-boutées, aux pieds longs et plats, aux bras énormes et maigres et dont le dos était affligé de cette proéminence naturelle que les gens trop sincères appellent une bosse, et que ceux mieux élevés nomment une déviation de la taille. Sa tête, large et grosse, paraissait hors de proportion avec le reste du corps. Une bouche énorme, un nez épaté, des joues vermillonnées, de petits yeux noirs, vifs et spirituels, complétaient l’ensemble de sa figure. Ce pauvre disgracié de la nature se nommait Kersan ; mais il était beaucoup plus connu sous le nom de Tailleur , qui était celui de la profession qu’il exerçait.
Pour bien comprendre l’importance du personnage nouveau que nous mettons en scène, il nous faut expliquer brièvement au lecteur les diverses attributions du tailleur dans la Basse-Bretagne. Un fait remarquable, c’est que dans la vieille Armorique tous les tailleurs sont contrefaits : les uns boiteux, les autres bossus, etc. Cela s’explique en ce que cet état n’est guère adopté que par les gens qu’une complexion débile ou défectueuse empêche de se livrer aux travaux de l’agriculture. Un tailleur possesseur d’une bosse, de deux yeux louches, de cheveux roux, est le nec plus ultra du genre, le beau idéal de l’espèce. Au moral, le tailleur est généralement conteur, hableur, vantard et peureux. Il se marie rarement, mais il fait le galentin auprès des filles, qui se moquent de lui. Les hommes le méprisent à cause de ses occupations casanières et féminines. S’ils parlent de lui, c’est en ajoutant : « Sauf votre respect ! » comme lorsqu’il s’agit de choses dégoûtantes. En général, il est le favori des femmes que ses contes amusent, que son babil réjouit, que sa gourmandise fait sourire. Il n’a pas de domicile. Il va de ferme en ferme, séjournant dans l’une, passant dans l’autre le temps pendant lequel on l’occupe à raccommoder les habits des gars et les justins des filles. Il est poète, faiseur de chansons, chanteur et musicien. Vivant d’une existence nomade, il sert de journal au pays dans lequel il arrive. Il arrange les événements, recueille les légendes ; seulement il a grand soin que la plaisanterie domine toujours dans ses récits.
Mais sa fonction principale, celle dans laquelle il brille de tout son éclat, c’est celle d’agent matrimonial. Dès qu’un gars éprouve le désir de prendre femme, il va faire part au tailleur de ses dispositions conjugales, et il lui demande quelles sont les filles à marier. Le tailleur les connaît toutes et les lui désigne.
Le jeune homme fait son choix, déterminé le plus souvent par les conseils du tailleur, et il le charge de porter la parole à la « pennère. » Aussitôt le tailleur se met en campagne. Il se rend à la ferme qu’habite la jeune fille désignée, et il s’arrange de façon à lui parler sans témoins. La rencontre
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