Marcof-le-malouin
arrêté contre les prêtres non assermentés, et cet arrêté allait recevoir le jour même à Fouesnan son application rigoureuse.
Vers sept heures du soir, et au moment où le soleil semblait prêt à s’enfoncer dans l’Océan, une douzaine de cavaliers portant l’uniforme de la gendarmerie, commandés par un brigadier, arrivèrent au grand trot par la route de Quimper, se dirigeant vers Fouesnan. En entendant le piétinement des chevaux, les paysans sortaient curieusement de leurs demeures et s’avançaient sur le pas de leur porte.
C’était encore un spectacle nouveau pour eux, dans cette partie de la Cornouaille, que de voir passer un détachement de soldats bleus. Les enfants criaient en courant pour suivre les gendarmes, chacun croyait à une ronde venant au secours de quelque poste de douane. Personne ne devinait le véritable but de la cavalcade. Arrivés sur la place du village, le brigadier et six de ses hommes mirent pied à terre, tandis que les autres gardaient les chevaux.
Les gendarmes s’avancèrent vers le presbytère. Par un singulier hasard, le vieux recteur sortait précisément de l’église, et s’apprêtait à regagner son humble demeure. Son costume l’indiquait trop clairement au brigadier pour qu’il pût y avoir l’ombre d’une hésitation dans son esprit. Le gendarme marcha donc tout droit au prêtre.
En voyant les soldats s’arrêter sur la place au lieu de continuer leur route, les paysans étaient successivement sortis de leurs maisons et s’étaient rapprochés. Ils formaient un cercle autour des gendarmes. L’un d’eux, qui connaissait le brigadier, s’approcha de lui.
– Bonjour, monsieur Christophe, lui dit-il.
– Bonjour, l’ancien, répondit le brigadier qui parlait assez bien le bas-breton.
– Qu’est-ce qui vous amène donc ici ?
– Une réquisition de corbeaux.
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
– Je te l’expliquerai une autre fois, mon gars. Pour le présent, ôte-toi un peu de mon passage ; j’aperçois là-bas l’oiseau que je veux dénicher…
Et le brigadier, écartant brutalement le paysan, passa outre en se dirigeant vers le prêtre. Celui-ci, devinant sans doute que c’était à lui que le sous-officier en voulait, attendait paisiblement sous le porche de l’église. Quand le gendarme fut en face du vieux recteur :
– Le curé de Fouesnan ? demanda-t-il.
– C’est moi, répondit le prêtre.
– Ça marche tout seul, murmura le brigadier avec un sourire.
– Que me voulez-vous, mon ami ?
– Vous demander d’abord, comme la loi l’exige, si vous avez prêté serment à la constitution ?
– Un pauvre ministre du Seigneur ne s’occupe pas de politique. Il prêche la paix, voilà tout.
– Connu ! les grandes phrases et autres frimes pour ne pas répondre ; mais je représente la nation, moi, et la nation n’a pas le temps d’écouter les sermons. Répondez catégoriquement.
Un murmure d’indignation accueillit ces paroles.
– Silence dans les rangs ! commanda le brigadier. À moins qu’il n’y en ait parmi vous qui aient envie que je leur lie les pouces et que je les emmène avec moi.
Les paysans se regardèrent, mais personne ne répondit.
– Voyons, continua le gendarme en s’adressant au recteur ; répondez, l’ancien !
– Que me voulez-vous ? C’est la seconde fois que je vous le demande.
– Avez-vous, oui ou non, prêté serment à la constitution, ainsi que l’ordonne la loi ?
– Non, répondit le prêtre.
– Vous avouez donc que vous êtes réfractaire ?
– J’avoue que je ne m’occupe que de mes enfants.
Et le recteur désignait du geste les paysans.
– Alors, reprit le brigadier, faites vos paquets, mon vieux, et en route.
– Vous m’emmenez ?
– Parbleu !
– Et où allez-vous me conduire, mon Dieu ?
– À Quimper.
– En prison peut-être ?
– C’est possible ; mais ce n’est pas mon affaire, vous vous arrangerez avec les membres de la commune.
– Mon Dieu ! mon Dieu ! qu’ai-je donc fait ?
– Vous êtes insermenté.
– Monsieur le brigadier…
– Allons ! pas tant de manières, et filons ! interrompit le soldat en portant la main sur le collet de la soutane du prêtre.
Le vieillard se dégagea avec un geste plein de dignité. Mais les murmures des paysans se changeaient en vociférations, et déjà les gars les plus solides et les plus hardis s’étaient jetés entre le prêtre et les
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