Marcof-le-malouin
écoute, je ne veux pas tuer l’âme en même temps que le corps. Je t’accorde cinq minutes pour faire ta prière…
– Je refuse ! répondit Jahoua.
– Tu ne veux pas te mettre en paix avec Dieu ?
– Dieu nous voit tous deux, Keinec ; Dieu lit dans nos cœurs ; Dieu nous jugera.
– Voyons ; jures-tu de renoncer à Yvonne ?
– Jamais !
– Alors, malheur à toi, Jahoua ! Tu viens de prononcer ton arrêt ! Tu es décidé à mourir ? Eh bien ! meurs sans prières !… meurs comme un chien !
Et, relevant sa carabine avec impétuosité, il l’épaula, appuya son doigt sur la détente et fit feu. L’amorce brûla seule. Keinec poussa un cri de rage. Jahoua respira fortement.
– Invulnérable ! invulnérable ! s’écria le jeune marin ; Carfor l’avait bien dit !
– Keinec, fit Jahoua avec calme, à ton tour tu es désarmé !
– Eh bien ! répondit Keinec en relevant la tête.
– Tu es désarmé, Keinec, et moi j’ai mon pen-bas !
En disant ces mots, Jahoua franchit d’un seul bond le talus de la route, et se tint debout à trois pas de Keinec. Ce dernier saisit sa carabine par le canon, et la fit tournoyer comme une massue. Les deux hommes se regardèrent face à face, et demeurèrent pendant quelques secondes dans une menaçante immobilité. On devinait qu’entre eux la lutte serait terrible, car ils étaient tous deux de même âge et de même force.
Ils demeurèrent là, les yeux fixés sur les yeux, presque pied contre pied, la tête haute, les bras prêts à frapper. Ils allaient s’élancer. Tout à coup un bruit de fusillade retentit derrière eux dans le lointain.
– C’est à Fouesnan qu’on se bat, s’écria Jahoua.
– Qu’est-ce donc ? fit Keinec à son tour.
– Yvonne est peut-être en danger !
– Eh bien ! si cela est, si, comme tu le dis, un danger menace Yvonne, c’est moi seul qui la sauverai, Jahoua !
Et Keinec, s’élançant sur son ennemi, le saisit à la gorge. D’un commun accord ils avaient abandonné, l’un son pen-bas, l’autre sa carabine. Ils voulaient sentir leurs ongles s’enfoncer dans les chairs palpitantes ! Ils restèrent ainsi immobiles de nouveau, essayant mutuellement de s’enlever de terre. Les veines de leurs bras se gonflaient et semblaient des cordes tendues. Leurs yeux injectés de sang lançaient des éclairs fauves. L’égalité de puissance musculaire de chacun d’eux annihilait pour ainsi dire leurs forces.
Jahoua avait franchi l’espace qui le séparait de Keinec, ainsi que nous l’avons dit. Ils luttaient donc tous deux sur le talus coupé à pic de la chaussée. Insensiblement ils se rapprochaient du bord. Enfin Jahoua, dans un effort suprême pour renverser son adversaire, sentit son pied glisser sur la crête du talus. Il enlaça plus fortement Keinec, et tous deux, sans pousser un cri, sans cesser de s’étreindre, roulèrent d’une hauteur de sept ou huit pieds sur les cailloux du chemin.
La violence de la chute les contraignit à se disjoindre. Chacun d’eux se releva en même temps. Silencieux toujours, ils recommencèrent la lutte avec plus d’acharnement encore. Il était évident que l’un de ces deux hommes devait mourir. Déjà Jahoua faiblissait. Keinec, qui avait mieux ménagé ses forces, roidissait ses bras, et ployait lentement en arrière le corps du fermier.
Le sang coulait des deux côtés. Un râle sourd s’échappait de la poitrine des adversaires entrelacés. Enfin Jahoua fit un effort désespéré. Rassemblant ses forces suprêmes, il étreignit son ennemi. Keinec, ébranlé par la secousse, fit un pas en arrière. Dans ce mouvement, son pied posa à faux sur le bord d’une ornière profonde. Il chancela. Jahoua redoubla d’efforts, et tous deux roulèrent pour la seconde fois sur la chaussée, Keinec renversé sous son adversaire.
Profitant habilement de l’avantage de sa position, le fermier s’efforça de contenir les mouvements de Keinec et de l’étreindre à la gorge pour l’étrangler. Déjà ses doigts crispés meurtrissaient le cou du marin. Keinec poussa un cri rauque, roidit son corps, saisit le fermier par les hanches, et, avec la force et la violence d’une catapulte, il le lança de côté. Se relevant alors, il bondit à son tour sur son ennemi terrassé.
Encore quelques minutes peut-être, et de ces deux hommes il ne resterait plus qu’un vivant. En ce moment, le galop d’un cheval lancé à fond de train retentit sur les
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