Marcof-le-malouin
gendarmes. Au plus fort du tumulte, le vieil Yvon accourut, son pen-bas à la main. Il se précipita vers son ami le recteur, et s’adressant aux paysans :
– Mes gars ! s’écria-t-il, on a tué notre marquis, on veut emprisonner notre recteur. Le souffrirez-vous ?
– Non ! non ! répondirent les paysans en formant autour des gendarmes un cercle plus étroit.
– La Rose ! commanda le brigadier à un trompette, sonne un appel !…
Le trompette obéit. Le brigadier, alors, tira de sa ceinture l’arrêté du département, le lut à haute et intelligible voix. Après cette lecture, il y eut un moment d’hésitation parmi la foule. Le brigadier voulut en profiter. Saisissant une seconde fois le vieillard, il fit un effort pour l’entraîner, mais les paysans se précipitèrent de nouveau et le recteur fut dégagé. Jusqu’alors là résistance se bornait à une simple opposition passive. Cependant cette opposition était tellement évidente, que le brigadier frappa la terre de la crosse de sa carabine avec une sourde colère.
Il y avait là douze soldats en présence de près de cinquante paysans. Le gendarme comprenait qu’en dépit des carabines, des pistolets et des sabres, la partie ne serait pas égale.
– À cheval ! commanda-t-il à ses hommes.
La foule, croyant qu’il allait donner l’ordre du départ sans exécuter son mandat, lui livra passage. Mais se retournant vers le recteur :
– Au nom de la nation, du roi et de la loi, je vous ordonne de me suivre ! dit-il.
– Non ! non ! hurlèrent les paysans.
– Attention, alors ! fit le brigadier en s’adressant à ses soldats.
– Mes enfants ! mes enfants ! disait le prêtre en s’efforçant d’apaiser le tumulte.
Mais sa voix, ordinairement écoutée, se perdait au milieu du bruit. Puis les enfants se glissaient silencieusement dans la foule et apportaient à leurs pères les pen-bas que leur envoyaient les femmes.
– Sabre en main ! ordonna le brigadier.
Les sabres jaillirent hors du fourreau. Les paysans se reculèrent. Le moment était décisif. Tout à coup un bruit de galop de chevaux retentit, et une nouvelle troupe de soldats, plus nombreuse que la première, déboucha sur la place. Le brigadier poussa un cri de joie.
– Gendarmes ! ordonna-t-il en s’élançant, sabrez-moi cette canaille !
– À bas les gendarmes ! à bas les bleus ! répondirent les paysans. Vive le recteur ! à bas la constitution !
– Ah ! vous faites les rebelles, mes petits Bretons ! s’écria la voix du sous-lieutenant commandant le nouveau détachement. Attention, vous autres ! Placez les prisonniers dans les rangs.
Les gendarmes occupaient le centre de la place. Les paysans, refoulés, en obstruaient les issues. Une collision était imminente. Les femmes pleuraient, les enfants criaient, les soldats juraient, et les paysans, calmes et froids, les uns armés de faulx, les autres de fusils, les autres du fourches et du pen-bas, attendaient de pied ferme la charge des cavaliers. Le vieux recteur, dont les gendarmes n’avaient pu s’emparer, était agenouillé sous le porche de l’église et implorait la miséricorde divine.
XXI – LES DEUX RIVAUX.
En voyant les gendarmes serrer leurs rangs et se mettre en bataille, le vieil Yvon s’était précipité vers sa demeure.
– Yvonne ! cria-t-il.
– Mon père ? répondit la jeune fille toute tremblante.
– Où est Jahoua ?
– À Penmarkh, père, vous le savez bien.
– Est-ce qu’il ne va pas revenir ?
– Si, père, je l’attends.
Pendant ces mots échangés rapidement, le vieillard avait décroché un fusil pendu au-dessus de la cheminée.
– Écoute, dit-il à sa fille. Tu vas sortir par le verger.
– Oui, père.
– Tu prendras la traverse par les genêts.
– Oui, père.
– Tu gagneras la route de Penmarckh, tu iras au-devant de Jahoua, et tu lui diras de hâter sa venue…
– Oui, père.
– Nous n’avons pas trop de gars ici…
– Oh ! mon Dieu ! s’écria Yvonne, on va donc se battre ?
– Tu le vois.
– Oh ! mon père, prenez garde…
– Silence, enfant ; songe à mes ordres et obéis.
– Oui, père, répondit la jeune fille en présentant son front au vieillard. Celui-ci embrassa tendrement Yvonne, la poussa vers le verger, et la suivant de l’œil :
– Au moins, murmura-t-il, elle sera à l’abri de tout danger !
Et Yvon, s’élançant au dehors, rejoignit ses amis. En ce
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