Marcof-le-malouin
d’énergie. Les deux hommes se regardèrent : ils ne pensaient plus à s’entre-tuer. Tous deux aimaient trop Yvonne pour ne pas sacrifier leur haine à leur amour. Dans l’apparition fantastique de ce cheval emportant deux corps enlacés, dans ce cri de terreur, dans cet appel gémissant poussé presque au-dessus de leurs têtes, ils avaient cru reconnaître la forme gracieuse et la voix altérée d’Yvonne. Puis, voici que la fusillade qui retentissait du côté de Fouesnan venait donner un autre cours à leurs pensées.
– On se bat au village ! murmurèrent-ils ensemble.
Et, de nouveau, ils demeurèrent indécis. Mais ces indécisions successives durèrent à peine une seconde. Keinec prit sur-le-champ un parti.
– Jahoua, dit-il, tu es brave ; jure-moi de te trouver demain, au point du jour, à cette même place.
– Je te le jure !
– Maintenant, un cri vient de retentir et une ombre a passé sur nos têtes. J’ai cru reconnaître Yvonne.
– Moi aussi.
– Si cela est, elle est en péril…
– Oui.
– Sauvons-la d’abord ; nous nous battrons ensuite.
– Tu as raison, Keinec ; courons !
– Attends ! On se bat à Fouesnan.
– Je le crois.
– Peut-être avons-nous été le jouet d’une illusion tout à l’heure.
– C’est possible.
– Cours donc à Fouesnan, toi, Jahoua.
– Et toi ?
– Je me mets à la poursuite de ce cheval maudit !
– Non ! non ! je ne te quitte pas. Si on violente Yvonne, je veux la sauver…
– Cependant si nous nous sommes trompés ?
– Non ; c’était Yvonne, te dis-je ! j’en suis sûr !
– Je le crois aussi ; il me semble l’avoir reconnue mais encore une fois, cependant, nous pouvons nous être trompés, et dans ce cas nous la laisserions donc à Fouesnan exposée au tumulte et au danger du combat qui s’y livre !
– Eh bien ! dit Jahoua, va à Fouesnan, toi !
– Non ! non !… Je poursuivrai ce cavalier.
Les deux jeunes gens se regardèrent encore avec des yeux brillants de courroux : leur volonté, qui se contredisait, allait peut-être ranimer la lutte. Jahoua se baissa et ramassa une poignée de petites pierres.
– Que le sort décide ! s’écria-t-il. Pair ou non ?
– Pair ! répondit Keinec.
La main du fermier renfermait six petits cailloux. Le jeune marin poussa un cri de joie.
– Va donc à Fouesnan, dit-il ; moi je vais couper le pays et gagner la mer. C’est là que le chemin aboutit.
Jahoua rejeta les pierres avec rage ; puis, sans mot dire, il saisit son pen-bas. Keinec reprit sa carabine, et tous deux, dans une direction opposée, s’élancèrent rapidement.
*
* *
Lorsque les gendarmes eurent, sur l’ordre de leur officier, placé les prisonniers au milieu d’eux, ils se préparèrent à forcer l’une des issues de la place. En conséquence, ils s’avancèrent le sabre en main, et au petit pas de leurs chevaux, jusqu’à la barrière vivante qui s’opposait à leur passage. Là, l’officier commanda : Halte !
Suivant les instructions qu’il avait reçues, il devait éviter, autant que possible, l’effusion du sang. Mais, avant tout, il avait mission d’arrêter les prêtres insermentés et de les ramener, coûte que coûte, dans les prisons de Quimper. Il improvisa donc une petite harangue arrangée pour la circonstance, et dans laquelle il s’efforçait de démontrer aux habitants de Fouesnan que, si la nation leur enlevait leur recteur, c’était pour le bien général. En 1791, on n’avait pas encore pris l’habitude de mettre : – la patrie en danger . – Les Bas-Bretons écoutèrent paisiblement cette harangue, pour deux motifs : Le premier, et c’est là un trait distinctif du caractère des fils de l’Armorique, c’est que, bonnes ou mauvaises, le paysan breton écoute toujours les raisons données par son interlocuteur ; seulement, il prend pour les écouter un air de stupidité sauvage qui indique sa résolution de ne pas vouloir comprendre. Inutile de dire que ces raisons données ne changent exactement rien à sa résolution arrêtée. En second lieu, et peut-être eussions-nous dû commencer par là, le discours du lieutenant étant en français et les habitants de Fouesnan ne parlant guère que le dialecte breton, il était difficile, malgré tout le talent de l’orateur, qu’il parvînt à persuader son auditoire. Aussi les paysans, la harangue terminée, ne firent-ils pas mine de bouger de place et de livrer
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