Marie Leszczynska
un soleil de plomb. Il en revient les traits tirés et l’air maussade. Le lendemain, il souffre de maux de tête et la fièvre se déclare. On le saigne et il garde le lit. Un courrier part pour Versailles prévenir la reine de son indisposition. La Peyronie, son premier chirurgien, Chicoyneau, son premier médecin, et Marcot, l’un de ses médecins ordinaires, guettent les moindres signes d’amélioration sur le visage du malade. En vain. Le roi ne dort pas ; les maux de tête et la fièvre persistent, en dépit des saignées et des nombreux médicaments qu’il ingurgite.
Le 9 août, Louis XV réclame la présence du médecin Dumoulin, de Paris. C’est le jour où Marie reçoit les premières nouvelles alarmantes sur la santé de son époux. Pas question pour elle de quitter Versailles sans l’accord du roi ; il ne lui reste qu’à prier et harceler d’Argenson de billets : « Vous assurerez le roi de la peine où je suis d’être éloignée de lui et de l’envie que j’ai de l’aller trouver. J’attendrai ses ordres avec soumission et impatience. Continuez à me mander comment il est. Ma pauvre tête s’en va. »
La nouvelle se répand dans Versailles et gagne Paris, où l’on accuse les soeurs Nesle d’avoir entraîné le roi dans une nuit d’agapes, de beuveries et d’ébats amoureux. Mais le bon peuple ignore qu’à Metz le roi est l’otage de la duchesse de Châteauroux et du duc de Richelieu. Ils ne quittent pas le malade et s’efforcent d’éloigner de sa chambre tous ceux qui pourraient leur nuire. Partisans et adversaires de la favorite ne tardent pas à s’affronter. Évincés de la chambre royale, les princes du sang exigent une consultation publique, refusée par La Peyronie, proche de la favorite et convaincu de maîtriser la situation. À Paris, ses confrères chantonnent sur l’air des Pendus :
« Or, écoutez petits et grands,
L’histoire du chef des merlans,
Qui s’est joué, l’infâme traître,
Des jours de son roi, de son maître,
Et qui faillit nous perdre tous
Pour complaire à Madame Enroux [6] . »
Seul le comte d’Argenson accède régulièrement au chevet du roi afin de prendre ses ordres. Louis XV lui donne ses consignes s’il venait à mourir, notamment à propos de ses papiers secrets.
Une monstrueuse comédie
Le 11 août, La Peyronie n’a toujours pas jugulé la maladie. Il avoue au premier aumônier, François de Fitz-James, que Sa Majesté est en danger. Le lendemain, l’évêque recommande au roi de se mettre en règle avec Dieu. Ébranlé par cette conversation, Louis XV repousse les baisers de Madame de Châteauroux en murmurant : « Ah ! princesse, je crois que je fais mal ! Il faudra peut-être nous séparer ! »
Le lendemain, l’état du malade empire. Après une nuit agitée, le roi sent sa fin prochaine et fait appeler son confesseur. Louis soulage sa conscience, puis ordonne à Madame de Châteauroux et à sa soeur de quitter les lieux. Les deux femmes s’éclipsent ; mais le duc de Richelieu leur suggère de ne pas s’éloigner de la ville. Le premier aumônier ne l’entend pas ainsi. François de Fitz-James, fils aîné du maréchal de Berwick, a renoncé à son héritage ducal par vocation religieuse. Entré tardivement dans les ordres, devenu évêque de Soissons et premier aumônier du roi, il n’en reste pas moins un grand seigneur orgueilleux et ambitieux qui ignore la charité.
Au chevet du souverain, Monseigneur de Soissons est maître du jeu. Il ne tolère pas l’attitude du roi et veut profiter de la situation pour chasser définitivement sa maîtresse. Il abuse donc de la faiblesse et des craintes de Louis XV face à la mort pour faire une annonce dans toutes les églises de la ville : « Qu’on ferme nos saints tabernacles afin que la disgrâce soit plus éclatante et que le roi soit obéi sur des ordres nouveaux ! » Puis il s’adresse au roi : « Toutes les lois de l’Église, Sire, et les canons défendent précisément d’apporter le viatique lorsque la concubine est encore dans la ville. Je prie Votre Majesté de donner de nouveaux ordres. »
Au plus mal et terrorisé par les menaces de Fitz-James, Louis XV obtempère aussitôt. Il ne supporte pas l’idée de bafouer l’Église et de mourir sans les sacrements. Le comte d’Argenson, qui n’a pas pris part à la comédie jouée au chevet du souverain, reçoit la délicate mission de signifier leur renvoi immédiat aux
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