Marie
amies. Un drôle
de geste. Un peu lent, comme si elle les saluait de loin au retour d’un voyage.
Ruth et Mariamne eurent pour la première fois un sentiment qu’elles
éprouveraient souvent dans les longues années à venir : la conscience
d’être étrangères à celle qu’elles croyaient si bien connaître.
18 .
Le
printemps prit fin et l’été aussi. Le ventre de Miryem s’arrondit et les gens
de Nazareth commencèrent à raconter que Yossef vivait avec trois femmes tant
était grand son appétit.
On raconta
qu’il avait mis Joachim à la porte.
Pauvre Joachim !
Béni soit-il ! Sa vie n’était qu’une succession de malheurs depuis ce jour
où il avait défendu la vieille Houlda contre la rapacité des percepteurs.
A la
synagogue, on murmura le mot de « voleur ». On supputa, pour le pire,
le besoin que Yossef et Miryem avaient de posséder deux servantes, une vieille,
une jeune.
Quelques
femmes haussèrent les épaules en disant aux hommes :
— Ne
vous posez pas des questions aussi bêtes : Yossef a quatre fils et deux
filles. Voilà pourquoi Miryem a deux servantes.
Mais ça ne
convainquit personne.
On se
souvint que Yossef vivait dans la maison où était né Joachim et que celui-ci la
lui avait offerte deux décennies plus tôt. Joachim, qui avait le cœur sur la
main, lui avait aussi fait don du savoir de la charpente et de sa clientèle.
Mais il ne lui avait pas donné sa fille. S’il avait su qu’elle attendait un
enfant de Yossef, jamais il ne se serait éloigné, lui qui avait enterré Hannah
à Nazareth. Cela prouverait-il que Yossef avait forcé Miryem ?
Peut-être
bien.
D’autres
langues se mirent en branle, racontèrent que Barabbas avait été vu s’enfuyant
du village un jour de printemps, le visage en pleurs. Qui sait si ce n’était
pas avec lui que Miryem avait fauté ?
Certains
demandèrent :
— Et
elle, Miryem, pourquoi ne la voit-on jamais parmi nous ?
La réponse
était simple. Elle se cachait comme se cachent les coupables.
Bientôt,
quand Ruth vint acheter du fromage ou du lait, quand Mariamne vint chercher de
la laine ou du pain, elles furent de moins en moins bien accueillies. A la fin
de l’été, on ne leur accorda plus que le strict nécessaire.
Yossef
alla s’en plaindre jusque dans la cour de la synagogue. On lui répondit :
— Mets
tes affaires en ordre.
— Quelles
affaires ?
En réponse
on lui adressa des regards plus éloquents que tous les mots de la langue
d’Israël. À son retour, il dit à Miryem :
— Si
nous ne nous marions pas, le jour n’est pas loin où ils arriveront ici et nous
lapideront.
— As-tu
peur ? demanda Miryem.
— Pour
moi, non. Pour toi et pour l’enfant, oui. Pour Ruth et pour Mariamne, oui.
On ne les
lapida pas mais on lui apporta de moins en moins de travail, si bien qu’aux
premiers mauvais jours de l’automne son atelier fut étrangement vide.
C’est
alors que la nouvelle se répandit, colportée de village en village par les
mercenaires d’Hérode. Ils entraient dans les cours, frappaient aux portes,
gueulaient partout que César Auguste, maître de Rome et d’Israël, souhaitait
connaître le nom de chacun de ceux qui vivaient dans son royaume.
— Allez
dans le village de votre naissance. Faites-vous reconnaître. On vous donnera
une marque de cuir. Au premier jour du mois d’adar prochain, celui qui ne
pourra pas montrer sa marque quand on la lui demandera ira dans les geôles.
La
nouvelle déclencha autant de colère que de confusion.
Ruth
dit :
— Où
je suis née, je ne le sais même pas.
— Moi,
c’est à Bethléem, fit Yossef. Un minuscule village de Judée où est né le roi
David et où personne ne me connaît !
— Et
moi, il me faudrait retourner à Magdala, s’énerva Mariamne. C’est une manœuvre
de plus des Romains et d’Hérode pour nous surveiller. Mais tout ce qui vient
d’eux est stupide. Qui empêchera de contrefaire les marques de cuir ? Qui
nous empêchera de nous présenter à leur recensement dans deux ou trois villages
de suite, si ça nous chante ?
— Peut-être
bien qu’il y a là-derrière une astuce que nous ignorons, fit Yossef avec
prudence.
Miryem
posa les paumes sur son ventre, qui maintenant l’obligeait à se mouvoir plus
lentement.
— Puisque
nous ne sommes plus les bienvenus ici, à Nazareth, proposa-t-elle à Yossef,
pourquoi n’irions-nous pas dans ton village pendant que je peux encore
voyager ?
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