Marie
le front comme elle l’avait fait auparavant avec le petit
Yakov et quitta la pièce aussi calmement qu’elle était venue. Les laissant
désemparés.
*
* *
Jusqu’au
soir, ils s’évitèrent. Chacun craignait ses propres pensées et celles des
autres.
Au
crépuscule, Yossef brisa ce silence et déclencha un tumulte qu’ils redoutaient
tous. Il vint devant Joachim et déclara :
— N’accable
pas ta fille. Je t’ai dit que mon toit serait toujours son toit, ma famille sa
famille. Miryem est chez elle ici, et son fils sera mon fils parmi mes fils. Et
si le jour venu les gens de Nazareth lui réclament le nom d’un père pour celui
à qui elle donnera naissance, elle pourra dire que nous sommes fiancés et donner
le mien.
— Ah !
s’écria Barabbas. Nous y voilà enfin ! Yossef se tourna vers lui, le poing
déjà levé.
— Cesse
d’insulter celle qui est plus grande que toi !
— Menteur
et lâche, voilà ce que tu es. Miryem invente pour ne pas avoir à te
condamner !
Yossef
bondit sur Barabbas, l’un et l’autre s’empoignant dans un gueulement sauvage et
roulant dans la poussière. Joachim parvint difficilement à dénouer les doigts
de Barabbas qui serraient la gorge de Yossef.
— Non !
Non !
Il fallut
que Ruth et Mariamne lui viennent en aide pour les séparer, tandis que
Zacharias et Elichéba s’écartaient avec horreur.
Debout et
balayant la poussière de leurs tuniques déchirées, Yossef et Barabbas se
dévisagèrent en tremblant, haletants. Joachim leur saisit une main à chacun, mais
fut incapable de prononcer une phrase.
Yossef se
dégagea et s’écarta. Il reprit son souffle, la tête basse. Quand il la releva,
il déclara :
— Ma
maison est ouverte à chacun. Mais à aucun de ceux qui refusent d’entendre la
vérité dans la bouche de Miryem.
*
* *
Nœud de
rage, de fureur et de doutes, Barabbas quitta Nazareth dans l’heure.
Le
lendemain, Zacharias attela sa mule au char inconfortable qui les avait menés
de la Judée en Galilée et où Hannah avait été assassinée par les mercenaires.
Elichéba y monta en pleurs, protestant qu’il n’était pas nécessaire de partir
aussi vite. Mais Zacharias, toujours muet, ignora ses plaintes. Les brides et
le fouet en main, il attendait que Joachim se décide.
Celui-ci
fit trois pas dans un sens, deux dans l’autre, la gorge si nouée qu’il lui
semblait respirer du sable. Il s’approcha de Yossef, lui frappa la poitrine du
plat de la main et lui souffla au visage :
— Ou
tu es fautif et Dieu te pardonnera, ou tu es généreux et Dieu te bénira.
Yossef
retint Joachim par le bras et lui dit :
— Reviens,
Joachim ! Reviens quand tu veux. Joachim hocha la tête. Il passa devant
Miryem sans lui accorder un regard et s’agrippa à la ridelle du char. Il
vérifia inutilement que le banc avait été bien nettoyé du sang d’Hannah et
finit par s’y installer. Pour la première fois de son existence, il avait la
silhouette d’un vieil homme.
Il
sursauta en découvrant que Miryem l’avait suivi, qu’elle était tout près de
lui, debout à côté du char. Elle lui prit les mains, les baisa avec ferveur avant
d’enfouir son visage dans les paumes calleuses.
— Je
t’aime. Nulle fille n’a jamais eu de meilleur père que toi.
A cet
instant, Joachim hésita. Peut-être s’en serait-il fallu de peu pour qu’il ne
redescende du char. Il s’était redressé, le dos droit, la poitrine gonflée.
Mais Zacharias fouetta le cul des mules. Les sanglots d’Elichéba se firent plus
bruyants, le temps qu’ils s’éloignent et que le roulement des grosses roues de
bois sur les cailloux du chemin les recouvre d’un grondement qui s’estompa lentement.
Avec une
tendresse craintive et pleine d’égards, Yossef effleura l’épaule de Miryem.
— Je
connais ton père. Un jour, il viendra jouer avec son petit-fils.
Miryem lui
adressa un sourire de remerciement. Ses yeux brillaient, ses pommettes étaient rouges,
mais elle ne céda pas aux larmes.
Mariamne
et Ruth l’observaient, debout au milieu des enfants. Dans la nuit, Ruth, les
rides creusées par les vacillements de la mèche d’une lampe, était venue la
supplier :
— Garde-moi
près de toi, Miryem. Ne me demande pas de croire ce que je ne peux croire.
Demande-moi seulement de t’aimer et de te soutenir : cela, je le ferai
jusqu’à mon dernier souffle, même sans comprendre.
Miryem fit un signe de la main en direction de ses deux
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