Marie
L’enfant y naîtrait sans que nul autre que nous ne s’en soucie.
Je dirais que je suis ton épouse et on trouvera normal que je me fasse reconnaître
là-bas.
Ils y
songèrent un jour ou deux. Ruth déclara avec enthousiasme :
— Pour
moi, il n’y a pas de discussion : je vous suis. Il faut quelqu’un pour
s’occuper des enfants de Yossef. Et de toi, le jour de la naissance. Et à
Bethléem, s’ils ne se souviennent pas de Yossef, qui pourra dire que je n’y
suis pas née ?
Miryem
approuva :
— Tu
passeras pour ma tante.
Mais
Mariamne protestait. Elle voulait demeurer avec eux jusqu’à la naissance de
l’enfant. Cependant, en ne retournant pas à Magdala, où on devait l’attendre
pour le recensement, elle mettrait sa mère dans une position difficile, elle
que les Romains surveillaient et n’aimaient pas.
Miryem lui
dit :
— Tu
me seras plus utile en retournant à Magdala qu’en me suivant en Judée. Au
printemps, lorsque les routes seront redevenues praticables, je vous rejoindrai
avec l’enfant, si Rachel le veut bien. Sa maison au bord du lac serait un
endroit parfait pour le voir grandir et lui enseigner ce qu’un roi nouveau doit
savoir.
Mariamne
céda à contrecœur. Elle se fit plusieurs fois répéter par Miryem qu’elles se
retrouveraient bien à Magdala.
— N’en
doute pas. Pas plus de cela que du reste, l’assura Miryem.
* * *
Il
neigeait lorsqu’ils arrivèrent en vue de Bethléem. Le froid et la bise étaient
intenses, mais Yossef avait fabriqué une bâche et même un support pour un
brasero qui faisait du char une manière de tente mobile et confortable. Ils s’y
serraient avec les enfants, comme une petite meute dans son terrier.
Quelquefois, les chaos des chemins les envoyaient rouler les uns sur les
autres. Les enfants en riaient aux larmes, en particulier le dernier-né,
Yehuda, qui y devinait un jeu merveilleux.
Miryem
n’était plus loin de la délivrance. Parfois elle agrippait le poignet de Ruth
en serrant les dents. Dans ces cas-là, Ruth criait à Yossef d’arrêter les
mules. Mais comme elle n’avait pas encore accouché lorsqu’ils entrèrent dans la
rue courbe de Bethléem, Miryem dit :
— Allons
tout de suite nous faire recenser. Cela vaut mieux. Avant la naissance de
l’enfant.
Ruth et Yossef
protestèrent. C’était dangereux pour elle et pour l’enfant. Cela pouvait
attendre qu’il soit né. Dans une semaine ou deux. Les Romains seraient encore
là.
— Non, déclara Miryem. Quand il
sera né, je ne veux pas qu’il ait affaire aux Romains ou aux mercenaires. Je ne
veux même pas qu’ils puissent poser les yeux sur lui. Non.
*
* *
Le
recensement avait lieu devant une grosse maison carrée que les officiers
romains occupaient après en avoir chassé les propriétaires.
Deux
grands feux chauffaient les décurions assis devant des tables pendant que
d’autres, la lance à la main, surveillaient la file de ceux qui attendaient
dans le vent.
Lorsque
les gens de Bethléem virent Miryem debout, le ventre gros, s’appuyant sur
Yossef et Ruth, et les enfants qui grelottaient derrière eux, ils dirent :
— Ne
restez pas là. Passez devant, rien ne presse pour nous.
Quand ils
furent devant la table du décurion, le Romain les toisa. Il observa le gros
ventre de Miryem sous le manteau épais, eut une grimace et leva le menton vers
Yossef.
— Ton
nom et ton âge ?
— Yossef.
L’âge, je dirais trente-cinq années. Peut-être quarante.
Le
décurion écrivit sur le rouleau de papyrus. Le froid épaississait l’encre et
engourdissait ses doigts. Il lui fallait écrire de grandes lettres.
Miryem vit
qu’il employait la langue latine, traduisant le nom de Yossef en Josef.
— Et
toi ? lui demanda le décurion. Ton nom et celui de ton père.
— Miryem,
fille de Joachim. J’ai vingt ans. Peut-être plus, peut-être moins.
— Miryem,
dit le décurion, ça n’existe pas dans la langue de Rome. A partir
d’aujourd’hui, tu t’appelleras Marie.
Il
l’écrivit, puis pointa son stylet sur le ventre de Miryem.
— Et
lui, comment vas-tu le nommer ?
— Yechoua.
Le
décurion la regarda sans comprendre. Elle répéta :
— Yechoua.
— Un
nom qui n’existe pas ! grommela-t-il en soufflant dans ses doigts.
Miryem
s’inclina et prononça en grec :
— Iessous. Cela veut dire : « Celui qui sauve ».
L’homme ricana.
— Et
tu parles grec ?
Il
écrivit : « Jésus, fils de Josef
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