Marie
conviction.
Abdias le perçut, qui approuva vivement de la tête.
— C’est
sûr ! Il sait qu’on n’a pas fait tout ça pour le regarder mourir.
La voix du
pêcheur les surprit, lui qui n’avait guère ouvert la bouche depuis Tarichée.
— Le
gosse a raison, dit-il en cherchant le regard de Miryem. Même avec ses
douleurs, ton père ne voudra pas t’abandonner. Un homme qui a une fille comme
toi ne se laisse pas mourir. Le paradis de Dieu n’est pas assez beau pour lui.
Il se tut,
le temps de tirer sur le cordage de la bôme pour retendre la voile, et ajouta
avec une colère qui creusa ses rides :
— Puissent
les rabbins et les prophètes ne pas se tromper et qu’un jour le Messie revienne
parmi nous, qu’on en finisse une bonne fois avec nos vies de rien.
Par
réflexe, Barabbas fut sur le point de se laisser aller au persiflage. Jusqu’à
quand le peuple d’Israël allait-il croire à ces niaiseries que les rabbins leur
serinaient ? Jusqu’à quand ces pauvres gens, qu’Hérode opprimait jusqu’à
leur sortir le sang du ventre, allaient-ils attendre qu’un Messie vienne les
délivrer, au lieu de se délivrer eux-mêmes ?
Cependant,
le ton du pêcheur, le visage de Miryem autant que l’inconscience de Joachim le
poussèrent au silence. Il n’était pas temps de se disputer. Bien lui en prit
car, un peu plus tard, le pêcheur le surprit à nouveau.
Ils
venaient enfin de tirer la barque sur la plage. Les habitants du village,
curieux, s’étaient massés pour les accueillir. Découvrant l’état de Joachim,
ils aidèrent à le transporter jusqu’à une maigre paillasse. Tandis que le
cortège s’éloignait vers les maisons, Barabbas tendit au pêcheur la bourse
qu’il lui avait promise. L’homme repoussa sa main.
— Non.
Ce n’est pas la peine.
— Ne
refuse pas. Sans toi, rien n’aurait été possible. Tu vas retourner à Tarichée,
où tu auras peut-être des ennuis. Qui sait s’ils ne voudront pas brûler vos
bateaux, pour contraindre tes camarades à raconter ce qu’ils savent de
nous ?
Le pêcheur
secoua la tête.
— Tu
ne nous connais pas, mon garçon. Nous avons prévu notre coup. Je vais rentrer
en faisant le tour du lac. Tous mes compères aussi. Nous arriverons à Tarichée
tous ensemble, avec des bateaux pleins à craquer. La plus belle pêche qu’on
n’ait jamais vue. Et je peux t’assurer que nous piquerons une belle rage en
découvrant que le marché est réduit en cendres. Nous déciderons alors de donner
nos poissons. Cela ameutera toutes les bonnes mères de la ville et fichera une
pagaille monstre.
Barabbas,
éclatant de rire, insista néanmoins.
— Prends
quand même. Tu le mérites.
— Laisse,
je te dis. Je ne veux pas de ton argent. Qu’ai-je besoin d’argent, moi, un Juif
de Galilée, pour sauver de la croix un autre Juif de Galilée ? Ce sont les
mercenaires d’Hérode qui se font payer pour leur vilaine besogne. Et ne t’en
fais pas : on saura que Barabbas n’est pas un voleur, mais un honnête
Galiléen.
*
* *
Malgré la
mise en garde de Barabbas, Abdias, trop excité pour se retenir, raconta dès le
soir de leur arrivée, et avec force détails, l’enfer d’où revenait Joachim.
Ici, dans
ce village hors de l’atteinte des mercenaires, on voyait pour la première fois
un homme ayant réchappé au supplice de la croix. Toutes les femmes du village
s’allièrent pour le sauver. Elles rivalisèrent de science, dénichant les
secrets des herbes, poudres, potions et soupes susceptibles d’estomper les
meurtrissures bistre laissées par les coups, de refermer les plaies visibles et
invisibles et, enfin, de rendre ses forces à Joachim.
Miryem les
assista. Elle apprit en quelques jours à distinguer des plantes auxquelles elle
n’avait jamais prêté attention. On lui montra comment les broyer, mélanger leur
poudre à de la graisse de chèvre, de la terre fine, des algues ou de la bile de
poisson, selon qu’on les transformait en pâtes, emplâtres ou huiles de massage,
qu’administraient des femmes larges et vigoureuses, depuis longtemps
accoutumées aux hommes nus et dans le malheur de leurs corps.
Une toute
jeune fille pleine de gaieté s’activa à la préparation des infusions et des
tisanes nourrissantes. Dans son combat inconscient contre la douleur, Joachim
maintenait les mâchoires serrées à se briser les dents. La jeune fille aida
Miryem à les lui écarter grâce à un petit entonnoir de bois. Alors
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