Marie
ville.
A
l’évidence, ils avaient réussi. Comme pour le confirmer, un bruit sourd roula
sur le lac. À nouveau des flammes illuminèrent la muraille. Des éclairs dorés
et des flammes jaillirent encore, loin des premières. Cet incendie allait semer
la confusion parmi les mercenaires et provoquer la débandade des villageois.
De tous
les bateaux fusèrent des cris de joie, tandis que le feu, gagnant en force, se
reflétait dans le port de Tarichée. On entendit enfin le hululement des trompes
qui appelait les légionnaires et les mercenaires à la rescousse. Barabbas se
retourna vers le pêcheur.
— C’est
le moment ! lança-t-il en tentant de maîtriser son excitation. Il faut
foncer pendant qu’ils sont occupés à éteindre le feu !
Son plan
marchait à merveille.
Grâce à la
diversion opérée par l’incendie, la surveillance du champ des supplices et
celle des chemins de ronde allaient être allégées, sinon abandonnées.
Les
bateaux accostèrent en silence sur une plage de gravier, où chacun prit pied.
Ici, l’obscurité demeurait profonde, tandis que l’on entendait les hurlements
de ceux qui combattaient le feu rougissant désormais le ciel et le lac.
Barabbas
et ses compagnons, ombres dans l’ombre, les lames nues des couteaux au poing,
coururent en avant afin de s’assurer que nul garde ne traînait et n’allait
donner l’alerte.
Une main
se glissa dans celle de Miryem. Abdias l’entraîna.
— Par
ici, ton père est en haut, près de la palissade. Cependant Miryem comme les
camarades d’Abdias qui les suivaient hésitèrent, pleins d’effroi. Leurs yeux
étaient assez accoutumés à l’obscurité pour discerner l’horreur qui les
entourait.
Les croix
étaient dressées ainsi qu’une forêt de l’enfer. Certaines, pourries, s’étaient
brisées sur des restes de cadavres. D’autres étaient si serrées que, par
endroits, les courtes traverses retenant les bras écartelés des condamnés se
chevauchaient.
Quelques
croix étaient encore nues. Mais, à leur pied, des squelettes pendaient,
silhouettes grotesques qui n’avaient plus rien d’humain depuis longtemps.
Alors
seulement Miryem eut conscience de la pestilence qu’elle respirait, des os et
des carcasses humaines qui jonchaient le sol sous ses pieds.
De petits
feulements les firent sursauter. Des froissements d’air leur coupèrent le
souffle. Des chats sauvages déguerpissaient, des oiseaux de nuit, charognards
que leur présence soudaine dérangeait, s’envolaient avec une mollesse
menaçante.
Miryem
douta un instant de pouvoir avancer plus loin. Abdias bondit en avant sans lui
lâcher la main.
— Vite !
On n’a pas de temps à perdre.
Ils
coururent, et cela leur fit du bien. Comme promis, Abdias se dirigea sans
hésitation entre les croix.
— Là,
dit-il en pointant le doigt.
Miryem sut
qu’il disait vrai. Malgré la nuit, elle reconnaissait le profil de Joachim.
— Père !
Joachim ne
répondit pas.
— Il
dort, assura Abdias. Toute une journée là-haut, ça doit vous foutre un sacré
coup sur la tête !
Alors que
Miryem appelait encore son père, des cris, un bruit de bagarre, s’élevèrent
près de la palissade.
— Par
la queue des démons ! gronda Abdias, ils ont quand même laissé des
gardes ! Vite, vous autres, aidez-moi.
Il attira
deux de ses camarades au pied de la croix et sauta lestement sur leurs épaules.
— Faites
pareil avec les autres croix là autour, ordonna-t-il au reste de sa bande. Il y
en a sûrement qui sont encore vivants.
Miryem le
vit grimper, le couteau entre les dents, aussi agile qu’un singe. En un clin
d’œil, il fut à la hauteur de Joachim.
Doucement,
il lui agita la tête.
— Hé !
père Joachim, réveille-toi. Ta fille vient te sauver ! Joachim marmonna
des paroles inintelligibles.
— Réveille-toi,
père Joachim ! insista Abdias. C’est pas le moment de roupiller ! Je
vais couper tes liens et, si tu ne m’aides pas, tu vas te casser la figure.
Miryem
entendit des geignements de douleur sur les croix toutes proches où s’agitaient
les autres gamins. Des vociférations et des cliquetis de métal résonnaient là
où l’on se bagarrait toujours.
— Mon
père doit être blessé, dit-elle à Abdias. Coupe ses liens et on le retiendra !
— Pas
la peine, il se réveille enfin !
— Miryem !
Miryem, c’est toi que j’entends ? La voix était rauque, épuisée.
— Oui,
père, c’est
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