Marie
seulement il
lui était possible, cuillerée après cuillerée, de nourrir le blessé. La tâche
était difficile, lente et désespérante. Mais la jeune compagne de Miryem
parvint à en alléger la dureté et à en faire un étrange instant de douceur
maternelle de la fille envers le père.
Chaque
nuit, Miryem veilla Joachim sans désemparer. Barabbas et Abdias cherchèrent en
vain à l’en dissuader. Ils se contentèrent, tour à tour, de lui tenir
compagnie, demeurant près d’elle dans l’ombre que trouait à peine la mèche
d’une lampe à huile.
Enfin, un
après-midi, il apparut avec évidence qu’Abdias et le pêcheur avaient eu raison.
Quelques heures avant la nuit, Joachim ouvrit les yeux. Il avait préféré le
paradis de sa fille à celui de Dieu.
*
* *
Il
découvrit le visage de Miryem au-dessus de lui et n’en parut pas étonné. Il
esquissa un très pâle sourire. Ses mains maladroites, dont les poignets étaient
encore recouverts d’emplâtres et de bandages, voulurent la toucher. Riant et
pleurant tout à la fois, Miryem s’inclina. Elle baisa le visage de son père,
offrit ses joues aux caresses de Joachim.
— Ma
fille, ma fille !
Il
marmonna de bonheur, voulut la serrer contre lui, mais ses épaules endolories
lui tirèrent un gémissement.
Les femmes
qui vaquaient alentour sortirent pour crier la bonne nouvelle. Tout le village
accourut pour voir enfin les yeux du rescapé de la croix, entendre son rire et
les mots doux qu’il ne cessait de murmurer.
— Miryem,
mon ange. C’est comme si je ressuscitais ! Que l’Éternel soit remercié de
m’avoir envoyé une fille pareille.
Miryem
refusa ces louanges, expliqua à son père comment les uns et les autres, chacun
à son tour, avaient fait en sorte qu’il vive.
Ému et
balbutiant, Joachim considéra les visages rudes et joyeux qui l’entouraient.
— Vous
le croirez si vous voudrez, dit-il, mais pendant que je dormais, Miryem était à
mon côté. Je m’en souviens très bien. Elle était là, debout, pas très loin de
moi. Et moi, je me voyais aussi. C’était une vilaine histoire, car j’étais
tombé de la croix et m’étais cassé en morceaux. Un bras par-ci, l’autre par-là.
Les jambes hors d’atteinte. Seuls ma tête et mon cœur fonctionnaient comme ils
le devaient. Et il me fallait sans cesse tenir mes morceaux afin de les
empêcher de s’éloigner. Mais j’étais si épuisé que je n’avais qu’une
envie : fermer les paupières et laisser mes bras et mes jambes partir à
leur guise. Sauf que Miryem était là, dans mon dos, m’empêchant de céder à
cette tentation.
Joachim
reprit son souffle, tandis que les autres l’écoutaient, bouche bée. Il cligna
une paupière et poursuivit :
— Elle
disait : « Allons, allons, père ! Garde les yeux bien
ouverts. » Vous savez, avec ce ton pas commode qu’elle peut prendre,
sacrement autoritaire et assuré pour une fille de son âge.
Chacun
éclata de rire, Barabbas approuvant bien fort et Miryem rougissant jusqu’à la
racine des cheveux.
— Oui,
elle n’a pas cessé de me houspiller, ajouta Joachim, la voix tremblante de
tendresse. « Allons, père, un effort ! Ne fais pas ce plaisir aux
percepteurs ! Tu dois retrouver tes bras et tes jambes pour rentrer à
Nazareth. Allons, allons ! Je t’attends ! » Et maintenant, me
voilà avec vous pour vous remercier.
*
* *
Le
lendemain à l’aube, quand Joachim se réveilla après une courte nuit de sommeil,
il trouva Barabbas et Abdias à son côté. Miryem dormait dans la pièce des
femmes.
— On
croirait qu’elle va roupiller pendant un an, gloussa Abdias.
Joachim
approuva d’une inclination de la tête tout en considérant le curieux visage du
garçon.
— Es-tu
celui qui m’a décroché de la croix ? Il me semble me souvenir, mais il
faisait bien noir.
— C’est
moi.
— Pour
te dire la vérité, quand je t’ai vu, j’ai cru qu’un démon venait m’emporter en
enfer.
— Tu
ne me reconnais pas parce que les femmes d’ici ont voulu me laver et me donner
des vêtements propres, grommela Abdias en haussant les épaules.
Barabbas
rit de bon cœur.
— C’est
la plus grande humiliation qu’Abdias ait subie jusqu’à ce jour. Sa crasse lui
manque. Il va lui falloir des semaines et des mois pour se ressembler de
nouveau.
Joachim
déclara doucement :
— La
propreté ne te va pas si mal, mon garçon. Tu pourrais t’en satisfaire.
— C’est
ce que
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