Marie
rive avant de
rejoindre Tarichée et Jotapata pour y reprendre leur vie de gamins errants,
tandis que leur chef demeurait avec Barabbas, Miryem et Joachim. Eux
naviguèrent toute la nuit en direction du nord.
Sans
quitter la rame de gouvernail, usant de sa longue expérience du lac pour
anticiper les courants et maintenir sa voile gonflée malgré les hésitations du
vent, le pêcheur se repérait à l’ombre dense de la rive, dont il ne s’éloignait
jamais. À l’aube, ils laissèrent derrière eux les jardins de Capharnaüm. Miryem
découvrit un paysage de Galilée inconnu.
Un
entrelacs de collines recouvertes de chênes yeuses enserrait entre ses pentes
d’étroites et tortueuses vallées. Çà et là, rompant le moutonnement des arbres,
des falaises tombaient à pic dans l’eau du lac. Elles laissaient entrevoir des
criques tourmentées où s’agrippaient quelques mauvaises bâtisses de pêcheurs
aux toits de branchages. Le plus souvent, la forêt tenait lieu de berge.
Infranchissable, elle n’offrait aucune plage ni anse où tirer les bateaux.
Quelques rares villages se lovaient sur les bords des rivières cascadant des
collines. Leur pêcheur dirigea l’embarcation vers l’un de ces hameaux.
L’embouchure du Jourdain, à quatre ou cinq lieues plus au nord, se dessinait
dans un halo de brume lumineuse.
Durant la
nuit, Barabbas avait assuré à Miryem qu’il n’existait pas de meilleur refuge.
Les mercenaires d’Hérode venaient rarement visiter cette contrée, trop pauvre,
même pour les charognards du sanhédrin, et trop difficile d’accès. On ne
pouvait l’atteindre qu’en bateau, ce qui ôtait l’arme de la surprise aux
visiteurs mal intentionnés.
Il était
facile de disparaître dans la forêt. Les collines offraient quantité de grottes
discrètes. Barabbas en connaissait un bon nombre. Plus d’une fois, il y avait
trouvé refuge avec sa bande. Enfin, il avait une bourse suffisamment pleine
pour que les pêcheurs les accueillent sans rechigner ni poser de questions.
Miryem ne devait pas s’inquiéter : ils seraient à l’abri aussi longtemps
que la colère des Romains, et peut-être même celle d’Hérode, mettrait à se
calmer.
En vérité,
le choix de leur cache souciait peu Miryem. Ce qui, au contraire, la remplit
d’inquiétude, dès que la lumière du jour les révéla, ce furent les blessures de
son père.
Après
avoir échangé quelques mots avec sa fille dans l’émotion de leur fuite de
Tarichée, Joachim s’était assoupi sans que nul ne s’en rende compte sur le
bateau. Toute la nuit, Miryem avait surveillé sa respiration rauque, souvent
irrégulière. Elle s’était interdit de la trouver trop douloureuse et anormale.
Mais, alors qu’il demeurait encore englouti dans le sommeil sous une peau de
mouton, c’est un visage effrayant qui apparut dans l’aube laiteuse du lac.
Il n’était
pas une parcelle de sa face qui n’eût reçu des coups. Ses lèvres gonflées, les
pommettes et une arcade sourcilière ouvertes rendaient Joachim méconnaissable.
Une vilaine balafre, due à un coup de lance ou d’épée, lui avait tranché une
oreille et ouvert la joue jusqu’au menton. Bien que Miryem trempât sans cesse
son voile dans l’eau du lac pour laver la blessure, celle-ci suintait en
permanence.
Soulevant
la peau de mouton, elle découvrit la poitrine de son père. La tunique qu’il
portait quand il avait attaqué les percepteurs n’était plus qu’un lambeau
maculé de sang séché. Les taches violacées des coups le recouvraient du ventre
à la gorge. Là aussi le sang suintait des plaies déchiquetées qui déchiraient
ses épaules et son dos. Et, bien sûr, les cordes de la croix avaient laissé ses
poignets et ses chevilles à vif.
De toute
évidence, il avait été battu, et avec tant de violence que l’on pouvait
craindre que des blessures invisibles, plus graves encore que les visibles, ne
mettent sa vie en danger.
Miryem se
mordit les lèvres pour ne pas céder aux larmes.
A ses
côtés, dans le lent ballant du bateau, elle devina que Barabbas, Abdias et le
pêcheur détournaient les yeux, effarés par ce qu’ils voyaient. Dans le jour, il
devenait difficile de dire si Joachim dormait ou s’il avait perdu conscience.
— Il
est fort, murmura enfin Barabbas. Il a tenu jusqu’à la croix, il sait que tu es
à côté de lui, il vivra pour plaire à sa fille !
Sa voix,
douce, ne contenait pas sa gouaille habituelle. Elle manquait de
Weitere Kostenlose Bücher