Marie
Miryem dit aussi, grimaça Abdias. Mais vous ne savez pas de quoi vous
parlez. Dans les villes, si on est comme les autres garçons, les gens n’ont ni
peur ni pitié. Demain, avant de partir à Tarichée, je remettrai mes frusques
d’am-ha-aretz, c’est sûr.
Joachim
fronça les sourcils.
— À
Tarichée ? Que veux-tu aller faire là-bas ?
— Savoir
ce que manigancent les mercenaires d’Hérode…
— Mais
c’est bien trop tôt !
— Non,
intervint Barabbas. Six jours se sont écoulés. Je veux savoir ce qui se trame à
Tarichée. Abdias ira traîner l’oreille en ville. Il sait s’y prendre pour ce
genre de choses. Il partira demain avec un pêcheur.
Joachim se
retint de protester. La peur lui tenait encore les entrailles. La violence et
la haine des mercenaires demeuraient ancrées dans son esprit autant qu’elles marquaient
son corps. Mais Barabbas avait raison. Lui-même aurait donné beaucoup pour
avoir des nouvelles d’Hannah, son épouse. Il aurait aussi voulu savoir si les
percepteurs, pour se venger de sa fuite, avaient infligé à Nazareth la
souffrance à laquelle il venait d’échapper.
Si tel
était le cas, il lui faudrait se rendre et retourner dans les geôles de
Tarichée. Une pensée et une décision qu’il ne pouvait confier à Barabbas,
encore moins à Miryem.
— Reviens,
murmura-t-il en serrant les petites mains d’Abdias. Je crois t’avoir promis
quelque chose pendant que tu me tirais du champ des supplices. Je déteste ne
pas tenir mes promesses.
*
* *
Cinq jours
plus tard, appuyé sur l’épaule de Miryem, Joachim s’essayait à l’usage de ses
jambes quand Abdias apparut. Il bondit hors de la barque avant qu’elle touche
la plage, le visage transfiguré d’excitation.
— On
ne parle que de nous ! affirma-t-il avant même de prendre le temps de
boire un gobelet de jus de raisin. Les gens n’ont que ça à la bouche :
« Barabbas a délivré des suppliciés que les Romains venaient de
pendre. » « Barabbas a humilié les mercenaires d’Hérode. »
« Barabbas s’est moqué des Romains… » Hé ! on croirait que tu es
devenu le Messie !
Le rire
d’Abdias contenait plus d’amitié que de moquerie, mais Barabbas n’abandonna pas
son sérieux.
— Et
les pêcheurs ? Ont-ils eu des ennuis ?
— Tout
le contraire. Ils ont fait comme ils avaient dit. Ils sont arrivés à Tarichée
avec des bateaux si pleins que le vent les poussait avec peine. Une vraie pêche
miraculeuse. Ils ont braillé très fort contre nous, qui avions brûlé leurs
barques et leur marché. Les gens de Tarichée aussi. Tout le monde a protesté
qu’on était des vauriens, des destructeurs, la honte de la Galilée… Rien que
des douceurs de ce genre. Si bien que les mercenaires et les Romains ont cru
pour de bon qu’on a fait le coup tout seuls. Aujourd’hui, les gens rigolent en
douce. Tout le monde est trop content de les avoir bernés.
Cette
fois, Barabbas se détendit et Miryem caressa la tignasse emmêlée d’Abdias.
— Et,
bien sûr, tu as su te retenir ? Tu as clamé partout que tu étais le
meilleur ami du grand Barabbas ? se moqua-t-elle gentiment.
— C’était
pas la peine, gloussa fièrement Abdias. Ils ont tout deviné. Jamais on m’a
autant donné de tout ce que je voulais. J’aurais pu rapporter une barque
pleine.
— Et
te faire dénoncer ! grommela Joachim.
— T’inquiète,
père Joachim ! Les faux nez, je les repère vite. Personne ne savait où je
dormais ni quand on me verrait. Mais tu sais que toi aussi, tu es
célèbre ? Tout le monde connaît ton histoire. Joachim de Nazareth, celui
qui a osé enfoncer une lance dans le ventre d’un percepteur et qui s’est sauvé
d’une croix…
— Ce
n’était pas le ventre, mais l’épaule, marmonna Joachim avec humeur. Et ce n’est
pas une si bonne chose que l’on fasse tant de bruit autour de mon nom. Des
nouvelles de Nazareth, tu en as ?
Abdias
secoua la tête.
— Ça,
non. J’avais pas le temps d’y aller…
Joachim
croisa le regard de Barabbas, puis celui de Miryem.
— Je
suis inquiet pour eux, murmura-t-il. Les mercenaires ne savent où nous trouver,
mais ils savent où porter le malheur.
— Je
pourrais y aller, voir au moins notre mère, la rassurer, fit Miryem.
— Non,
pas toi, protesta Abdias. Moi. J’y vais quand tu veux.
— À
moins que nous n’y allions tous ensemble, suggéra Barabbas, songeur. Maintenant
que Joachim marche, on peut se
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