Marie
Temple et devant la lecture du Livre. Si
nous sommes sincères, nous nous disputons. Tu viens de le voir toi-même.
Était-ce
la tristesse dans la voix de son père ? Les larmes de découragement
d’Halva ou la déception d’Abdias ? Ou encore le mutisme obstiné de Yossef,
dont elle voyait le visage accablé ? Miryem ne le sut jamais.
Ce fut
plus fort qu’elle. Elle attrapa un grand panier d’abricots qu’elle venait de
préparer et s’élança dans la cour. Elle s’avança jusqu’aux hommes, la poitrine
et le visage brûlants. La vigueur de son pas les fit taire. Elle affronta
l’étonnement et le reproche qui durcissaient déjà leurs traits. Sans en tenir
compte, elle posa le panier de fruits sur la table et se tourna vers son père.
— Me
permets-tu de dire ce que je pense ? demanda-t-elle.
Joachim ne
sut que répondre et consulta les autres du regard. Guiora déjà levait la main
pour la chasser, mais Nicodème saisit un abricot dans le panier avec un sourire
condescendant et approuva d’un signe.
— Pourquoi
pas ? Dis-nous donc ce que tu penses.
— Non,
non, non ! protesta Guiora. Je ne veux rien entendre de cette fille !
— Cette
fille est ma fille, sage de Gamala, s’offusqua Joachim, le rouge au front. Elle
et moi connaissons le respect que l’on te doit, mais je ne l’ai pas éduquée
dans l’ignorance et la soumission.
— Non,
non ! répéta Guiora en se levant. Je ne veux rien entendre des infidèles…
— Parle,
dit gentiment Joseph d’Arimathie en ignorant la fureur de son frère essénien.
Nous t’écoutons.
La gorge
sèche, Miryem se sentait à la fois de feu et de glace. Confuse et néanmoins
incapable de retenir les phrases qui lui brûlaient le cœur. Du regard, elle
supplia son père bien-aimé de lui pardonner et déclara :
— Vous
aimez les mots, mais vous ne savez pas vous en servir. Vous parlez sans fin.
Cependant vos paroles sont aussi stériles que des cailloux. Vous les jetez à la
face des autres pour ne rien entendre de ce qui se dit. Rien ne peut vous unir,
car chacun ne reconnaît rien de plus sage que lui-même…
Guiora,
qui s’était déjà écarté, se retourna d’un bond qui fit voler sa longue barbe.
— Oublies-tu
Yhwh, fille ? tonna-t-il. Oublies-tu que chaque mot vient de Lui ?
Avec un
courage douloureux, Miryem secoua la tête.
— Non,
sage de Gamala, je ne l’oublie pas. Mais la parole de Dieu que tu aimes, c’est
celle que tu étudies dans le Livre. Elle te rend savant, mais elle ne sert pas
à nous unir, décréta-t-elle avec une fermeté qui les sidéra.
Miryem vit
leurs expressions stupéfaites, y devina de la colère ou de l’incompréhension.
Elle craignit de les avoir offenses alors qu’elle voulait les aider. D’un ton
plus tendre, elle ajouta :
— Vous
êtes tous savants et moi je ne suis qu’une ignorante, mais je vous écoute et je
constate que votre savoir ne sert qu’à la dispute. Qui, parmi vous, saurait
être celui que chacun écoute ? Et si vous parveniez à vaincre Hérode, que
se passerait-il ? Vous vous disputeriez comme avant et vous vous battriez
les uns contre les autres ? Les pharisiens contre les esséniens. Tous
contre les sadducéens du sanhédrin.
— Alors,
toi aussi tu attends le Messie ! ricana Barabbas.
— Non…
Je ne sais pas… Tu as raison : il y en a tant qui se lèvent et
crient : « Je suis le Messie. » Néanmoins, ils n’accomplissent
rien. Ils ne sont que le fruit infécond de leur rêve. À quoi bon pousser le
peuple à se soulever contre Hérode si nul d’entre vous ne sait vers quoi le
conduire ? Hérode est certes un mauvais roi, il répand le malheur sur
nous. Mais qui, parmi vous, saurait être notre roi de justice et de
bonté ?
Elle
baissa la voix, comme si elle voulait leur confier un secret.
— Seule
une femme qui connaît le prix de la vie peut donner la vie à cet être-là. Le
prophète Isaïe n’a-t-il pas dit que le Messie naîtra d’une jeune femme ?
En silence
ils la dévisageaient. La stupeur figeait leurs traits.
— Nous
avons compris, ricana Guiora. Tu veux être la mère du Libérateur. Mais qui sera
le père ?
— Peu
importe le père…
Le ton de
Miryem devint incantatoire, son regard absent.
— Yhwh,
saint, saint, saint est Son nom, décidera. Personne ne dit mot, jusqu’à ce que
Barabbas se lève d’un bond. La fureur déformait son visage. Il s’approcha de
Miryem d’un pas si vif qu’elle
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