Marie
Après le départ de Matthias et le long silence qui
s’ensuivit, les hommes reprirent leur discussion. Cette fois avec tant de
retenue qu’on eût cru qu’ils s’effrayaient de leurs propres mots.
Miryem
s’approcha de la porte. Elle perçut la voix de Joseph d’Arimathie, calme mais
si basse qu’elle dut faire un effort pour le comprendre. Lui aussi croyait à la
venue du Messie, disait-il. Barabbas se trompait en voyant dans cette foi une
faiblesse. Le Messie était une promesse de vie, et seule la vie engendrait la
vie, tout à l’opposé d’Hérode, qui engendrait la mort et la souffrance.
— Croire
à la venue du Messie, c’est être certain que Dieu ne nous abandonne pas. Que
nous méritons Son attention et que nous sommes assez forts pour supporter et
défendre Sa parole. Pourquoi voudrais-tu ôter cet espoir et cette force à notre
peuple, Barabbas ?
Barabbas
faisait la moue, mais les propos de Joseph d’Arimathie portaient et chacun
autour de la table approuvait.
— Cependant,
tu as raison sur un point, ajouta le sage de Damas. On ne peut pas demeurer les
bras croisés devant la souffrance. Il faut repousser le mal que répand Hérode.
Il faut faire en sorte que le bien devienne notre Loi, accomplir tout ce que
l’on peut, nous, les hommes, pour rendre la vie plus juste. C’est cela, et pas
uniquement la prière, comme le croit Guiora, qui permettra la venue du Messie.
Oui, nous devons nous unir contre le mal…
— Il
parle bien, murmura Halva en serrant le bras de Miryem. Mieux encore que ton
Barabbas.
Miryem
faillit répliquer que Barabbas n’était pas « son » Barabbas, mais, en
se tournant vers Halva, elle découvrit des larmes dans ses yeux.
— Mon
Yossef n’a pas ouvert la bouche, le pauvre. Mais peut-être est-ce lui qui a
raison, ajouta-t-elle avec un triste sourire. Toutes ces belles phrases ne
servent à rien, n’est-ce pas ?
L’angoisse
étreignit Miryem. Halva avait raison. Mille fois raison. Et c’était effrayant.
Elle assistait à l’odieuse folie des hommes.
Son père
comme Barabbas, elle le savait, étaient bons et forts. Barabbas parlait bien,
savait convaincre et conduire les hommes. Joseph d’Arimathie était sans doute
le plus sage de tous, et les autres, même Guiora, n’avaient d’autre désir que
de faire le bien et de se comporter en honnêtes hommes. Ils faisaient étalage
de leur savoir et de leur pouvoir, mais c’est leur impuissance qui les dressait
les uns contre les autres dans un spectacle insupportable…
— Bon
sang, il est parti pour de bon !
C’était
Abdias. Il revenait tout essoufflé d’avoir couru derrière Matthias.
— Je
l’ai appelé. Je lui ai demandé de revenir, mais il a seulement levé la main
pour me dire adieu.
Lui aussi
avait la gorge serrée et les larmes aux yeux. Lui aussi découvrait
l’impuissance de ceux qu’il admirait, et la honte lui empoignait le cœur.
Là-bas,
Nicodème, avec un peu d’aigreur, demandait à Joseph d’Arimathie s’il avait
perdu la tête. Voulait-il lui aussi prendre les armes ? L’essénien
répondait que non, que la violence ne lui semblait jamais la bonne solution.
Des mots qui, à nouveau, entraînèrent des propos sanglants de Barabbas. Guiora
intervint, reprenant de sa voix aigre sa litanie sur la prière et la pureté, et
criant que la seule violence valide était celle voulue par Dieu.
— Vont-ils
recommencer ? soupira Halva.
— S’ils
se disputent encore, pronostiqua Abdias, accablé, Barabbas s’en ira. Je le
connais. Je me demande comment il a pu supporter aussi longtemps Guiora et le
gros du sanhédrin.
Cependant,
Joachim tentait d’apaiser la discorde d’une voix posée. Cette réunion était un
échec, affirma-t-il non sans amertume. Autant se l’avouer. Se quereller comme
ils le faisaient ne servait qu’à illustrer leurs faiblesses et à reconnaître la
force d’Hérode et des Romains. Il s’en voulait de les avoir contraints à un
voyage long et inutile…
Joseph
d’Arimathie protesta avec calme.
— Il
n’est jamais inutile de chercher la vérité, même si elle nous est désagréable.
Et il est un point qui nous met tous d’accord : le pire ennemi du peuple
d’Israël n’est pas Hérode, c’est notre propre désunion. Voilà pourquoi Hérode
et les Romains sont forts. Nous devons nous unir !
— Mais
comment ? s’exclama Joachim. La Judée, la Samarie et la Galilée sont
désunies, comme nous sommes désunis au
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