Marie
d’Hannah sur le chemin, Joachim posa la
main sur la nuque d’Abdias, comme un père l’aurait fait. L’émotion brouilla le
regard de Miryem. À son côté, Joseph d’Arimathie déclara avec douceur :
— Tes
parents sont en de bonnes mains, Miryem. Toi, il serait plus sage que tu me
suives à Magdala.
Deuxième partie Le choix de Damas
9.
Miryem
cria :
— Mariamne !
Ne nage pas trop loin…
C’était un
avertissement inutile. Elle le savait. Le bonheur de vivre de Mariamne était
contagieux. La fille de Rachel était belle à voir. Elle nageait avec toute la
vigueur, toute l’insouciance affamée de son âge. L’eau glissait telle une huile
transparente sur son corps gracile. A chacun de ses mouvements, des reflets de
cuivre ondoyaient sur ses longs cheveux, déployés autour d’elle ainsi que des
algues vivantes.
Joseph
d’Arimathie avait conduit Miryem dans la maison de Rachel, à Magdala, il y
avait de cela deux années. Dès son arrivée, Rachel avait déclaré que la
nouvelle venue ressemblait à sa fille Mariamne comme à une sœur. Les nombreuses
femmes qui l’entouraient avaient approuvé et s’étaient exclamées :
— Vraiment,
c’est extraordinaire, vous êtes aussi semblables que vos prénoms :
Mariamne et Miryem !
Cela était
dit avec tendresse. Mais sans justesse.
Bien sûr,
les deux jeunes filles avaient en commun certains traits, ainsi que leurs
silhouettes. Pourtant, Miryem ne percevait entre elles deux que des
différences, et qui n’étaient pas dues seulement à l’âge, même si Mariamne,
plus jeune de quatre ans, possédait encore toute la fougue et l’inconstance de
l’enfance.
Il n’y
avait rien, pas même l’apprentissage ardu des langues et des savoirs, que
Mariamne ne parvenait à transformer en jouissance. Cette gourmandise de
plaisirs produisait un contraste permanent avec l’austérité de Miryem. La fille
de Rachel était née pour tout aimer du monde, et Miryem lui enviait ce pouvoir
de ravissement.
Si elle
plongeait dans sa propre mémoire, elle ne trouvait rien de tel. Durant les
premiers mois de son séjour à l’ombre de l’exubérance de sa jeune compagne, sa
propre sagesse, sa volonté et son obstination lui avaient souvent parues
pesantes. Mais Mariamne avait montré qu’elle possédait de la joie pour deux.
Miryem n’en avait que plus aimé sa présence. Une amitié les avait vite liées
qui aidait, aujourd’hui encore, Miryem à mieux supporter ce caractère un peu
ombrageux que le Tout-Puissant lui avait accordé.
Ainsi, des
jours heureux, paisibles et studieux, s’étaient-ils écoulés dans cette belle
demeure dont les cours et les jardins s’étendaient jusqu’à la rive du lac de
Génézareth.
Rachel et
ses amies n’étaient pas des femmes ordinaires. Elles ne montraient rien de la
retenue que l’on exigeait d’habitude des filles et des épouses. Elles parlaient
de tout, riaient de tout. Une grande partie de leur temps était consacrée à des
lectures et à des conversations qui eussent horrifié les rabbins, convaincus
que les femmes n’étaient bonnes qu’à l’entretien du foyer, au tissage ou, quand
elles étaient fortunées, comme Rachel, à une oisiveté aussi arrogante que
dénuée de sens.
Veuve
depuis dix ans d’un commerçant propriétaire de plusieurs navires voguant entre
les grands ports de la Méditerranée et que le char d’un officier romain avait
sottement écrasé dans une rue de Tyr, Rachel était riche. Et elle usait de sa
fortune d’une manière inattendue.
Refusant
d’habiter, à Jérusalem ou à Césarée, les luxueuses demeures héritées de son
mari, elle s’était s’installée à Magdala, un bourg de Galilée à deux jours de
marche de Tarichée. Là, on oubliait la cohue et le vacarme des grandes villes
et des ports. Même les jours les plus chauds une brise douce soufflait du lac,
dont on percevait tout le jour le ressac régulier, sous le pépiement des
oiseaux. Selon les saisons, les amandiers, les myrtes et les câpriers
explosaient de couleurs. Au pied des collines, les paysans de Magdala
cultivaient assidûment de longues bandes de sénevé et des vignes opulentes
bordées de haies de sycomores.
Disposée
autour de trois cours, la maison de Rachel possédait la sobriété et la
simplicité des bâtisses juives d’antan. Débarrassées du fatras opulent qui,
d’ordinaire, surchargeait les demeures soumises à l’influence
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