Marie
romaine,
plusieurs pièces avaient été transformées en salles d’étude. Dans les
bibliothèques se pressaient des ouvrages des philosophes grecs et des penseurs
romains du temps de la République, des rouleaux manuscrits de la Thora, en
araméen et en grec, et des textes des prophètes datant de l’exil en Babylonie.
Dès que
possible, Rachel invitait auprès du lac les auteurs qu’elle affectionnait. Ils
séjournaient à Magdala le temps d’une saison, travaillant, enseignant et
échangeant leurs pensées.
Joseph
d’Arimathie, bravant la défiance traditionnelle des esséniens envers les
femmes, s’y présentait parfois. Rachel appréciait grandement sa présence. Elle
l’accueillait avec tendresse. Miryem avait appris qu’en secret elle soutenait
de ses deniers la communauté de Damas, où Joseph diffusait sa sagesse et son
savoir de la Thora. Il y enseignait également la science de la médecine et
soulageait autant qu’il le pouvait les souffrances des gens ordinaires.
Mais,
surtout, Rachel avait ouvert ses portes aux femmes de Galilée désireuses de
s’instruire. Et cela avec une grande discrétion. S’il fallait craindre la
suspicion et les espions d’Hérode et des Romains, l’esprit borné des rabbins et
des maris n’était pas une menace moins redoutable. Nombre de celles qui
franchissaient le seuil de la maison de Magdala, la plupart épouses de
marchands ou de riches propriétaires, le faisaient en cachette. À l’abri du
dégoût des hommes pour les femmes instruites, elles se livraient avec délice à
l’apprentissage de l’écriture et de la lecture, très souvent transmettant à
leurs propres filles le goût du savoir comme la passion de la réflexion.
Ainsi,
Miryem avait appris ce qui, habituellement, était réservé, en Israël, à peu
d’hommes : la langue grecque, la philosophie de la politique. Avec ses
compagnes d’étude elle avait lu et discuté les lois et règles qui régissent la
justice d’une république ou la puissance d’un royaume, s’était interrogée sur
les forces et les faiblesses des tyrans et des sages.
Autant
qu’elle, Rachel et ses amies souffraient du joug d’Hérode. L’humiliation morale
et matérielle, ainsi que la décrépitude du peuple d’Israël s’aggravaient. Cette
violence, ce tourment, devenaient un sujet obsédant de débat. Et engendraient
trop souvent un terrible constat d’impuissance. Elles n’avaient que leur
intelligence et leur obstination à opposer au tyran.
Selon les
rumeurs, la maladie plongeait Hérode dans une démence toujours plus meurtrière.
Désormais, il cherchait à entraîner le peuple d’Israël dans son enfer. Chaque
jour ses mercenaires se montraient plus cruels, les Romains plus méprisants et
les sadducéens du sanhédrin plus rapaces. Cependant, Rachel et ses amies
craignaient la mort d’Hérode. Comment, alors, empêcher qu’un autre fou, plus
jeune, issu de son sang corrompu, ne s’empare du pouvoir ?
Certes,
Hérode semblait vouloir assassiner sa famille entière. Déjà celle de son épouse
avait été décimée. Mais le roi avait distribué sa semence avec largesse tout au
long de son existence, et nombreux étaient ceux qui pourraient se réclamer de
son lignage. Ainsi, lorsque le tyran recevrait enfin son châtiment, le peuple
d’Israël risquait fort de ne pas être libéré de son mal.
Miryem
avait raconté comment Barabbas avait espéré, puis échoué, engendrer une révolte
qui renverse le tyran, mais aussi affranchisse Israël de Rome et chasse la
gangrène sadducéenne du Temple.
Si elles
s’attristaient devant les sottes disputes opposant les zélotes, les pharisiens
et les esséniens, les femmes de Magdala ne pouvaient cependant se résoudre à la
violence pour atteindre la paix. Socrate et Platon, qu’elles admiraient,
n’enseignaient-ils pas que les guerres conduisaient à plus d’injustice, à plus
de souffrances pour les peuples et à la grandeur éphémère des vainqueurs
aveuglés par leur force ?
Mais pour
autant devaient-elles se ranger à l’imprévisible intervention de Dieu ?
Devaient-elles se contenter d’attendre que l’Éternel, et Lui seul, par
l’intermédiaire du Messie, les libère des malheurs dont les hommes et les
femmes d’Israël ne parvenaient pas à les délivrer ?
Le plus
grand nombre le croyait. D’autres, dont Rachel, estimaient que seule une
justice nouvelle, née de l’esprit humain et de la volonté humaine, une
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