Marie
l’attrister
irrémédiablement. Plus ils étaient passionnés et brillants, moins ils voilaient
une vérité lancinante : pas plus Rachel que ses amies ne trouvaient de
solution pour vaincre la tyrannie d’Hérode. Elles ignoraient le moyen d’unir le
peuple d’Israël dans une seule force. Au contraire, mois après mois, les
nouvelles qui parvenaient à Magdala indiquaient que la crainte des jours à
venir accablait les plus démunis, les paysans, les pêcheurs, ceux dont le
commerce ou l’ouvrage parvenait tout juste à assurer la survie.
Sans autre
recours, méprisés par les riches de Jérusalem et par les prêtres du Temple, ils
accordaient foi aux beaux parleurs, faux prophètes et bavards impuissants qui
pullulaient dans les villes et les bourgades. Rugissant des discours
effrayants, où les menaces alternaient avec la promesse d’événements
surnaturels, ces braillards se prétendaient prophètes des temps nouveaux.
Hélas, leurs prophéties se ressemblaient toutes. Elles n’étaient qu’exhalaisons
haineuses contre les hommes et annonciations apocalyptiques peintes par des
imaginations débridées, avides de châtiments odieux. Il semblait que la volonté
de ces hommes, qui s’annonçaient comme purs, pieux et exemplaires, n’était que
d’ajouter l’effroi au désespoir qui habitait déjà le peuple. Aucun ne se souciait
d’apporter le moindre remède aux plaies qu’ensemble ils dénonçaient.
Malgré la
douceur de la vie à Magdala, malgré la joie communicative de Mariamne et la
tendresse de Rachel, plus le temps passait, plus ce chaos destructeur
imprégnait les pensées de Miryem. Ses silences s’allongeaient, ses nuits
étaient mauvaises, troublées de raisonnements sans issue. Les débats autour de
Rachel finirent par lui paraître bien vains et les rires des compagnes bien
légers.
Mais sa
propre impuissance n’était-elle pas une faute ? Ne s’était-elle pas
trompée du tout au tout ? Au lieu de demeurer dans le luxe de cette maison
n’aurait-elle pas dû suivre Barabbas et Matthias dans un combat qui, au moins,
n’était pas que de mots ? Cependant, chaque fois sa raison rétorquait qu’elle
agitait là le miroir aux illusions. Le choix de la violence était, plus que
tout autre, celui de l’impuissance. C’était agir comme les faux
prophètes : ajouter la douleur à la douleur.
Pourtant,
elle ne pouvait demeurer sans rien faire.
Depuis
peu, une décision mûrissait en elle : quitter Magdala.
Elle
devait rejoindre son père, se rendre utile auprès de sa cousine Elichéba, chez
laquelle Joachim et Hannah avaient trouvé refuge. Ou aller auprès d’Halva, sur
qui le poids des jours et des enfants devait peser bien lourd. Oui, voilà ce
qu’elle devait faire : aider la vie à grandir au lieu de demeurer ici,
dans ce luxe où les savoirs, aussi brillants fussent-ils, s’effaçaient sous
l’effet de la réalité comme une fumée dispersée par le vent.
Elle
n’avait pas encore osé l’annoncer. Rachel s’était absentée, allant elle-même
accueillir au port de Césarée des bateaux qu’elle affrétait pour Antioche et
Athènes. Outre les tissus, les épices de Perse et le bois de Cappadoce dont
elle faisait, à la suite de son époux, le commerce, cette flotte devait lui
revenir avec des livres depuis longtemps attendus. Et puis ce jour était celui
du quinzième anniversaire de Mariamne. Miryem ne voulait pas gâcher la fête de
sa jeune amie. Mais, désormais, elle comptait avec impatience les jours avant
son départ.
— Miryem !
Miryem !
Les appels
de Mariamne la tirèrent de ses pensées.
— Viens
donc ! L’eau est si douce !… De la main, elle refusa.
— Ne
sois pas si sérieuse, insista Mariamne. Ce jour n’est pas comme les autres.
— Je
ne sais pas nager…
— N’aie
pas peur. Je vais t’apprendre… Allons ! C’est mon anniversaire.
Accorde-moi ce cadeau : viens nager avec moi.
Combien de
fois Mariamne avait-elle tenté de la convaincre de la rejoindre dans le
lac ? Miryem ne les comptait plus.
— Mon
cadeau, répliqua-t-elle en riant, tu l’as déjà.
— Pff !
grogna Mariamne. Un bout de la Thora ! Tu parles si c’est drôle…
— Ce
n’est pas un « bout de la Thora », sotte que tu es. C’est la belle
histoire de Judith, celle qui sauva son peuple grâce à son courage et à sa
pureté. Une histoire que tu devrais connaître depuis longtemps. Et copiée de ma
main. Ce qui devrait te remplir de
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