Marie
justice
fondée sur l’amour et le respect, pouvait les sauver.
— La
justice enseignée par la loi de Moïse est grande et même admirable, expliquait
Rachel avec une conviction provocante. Mais ses faiblesses, nous les voyons
bien, nous, les femmes. Pourquoi établit-elle une inégalité entre la femme et
l’homme ? Pourquoi Abraham peut-il offrir son épouse Sarah à Pharaon sans
que cette faute l’accable ? Pourquoi l’épouse est-elle toujours poussière
dans la main de l’époux ? Pourquoi, nous autres femmes, comptons-nous pour
moindres que les hommes dans l’humanité, alors que, par le nombre et le
travail, nous valons autant qu’eux ? Moïse avait choisi une Noire pour
être la mère de ses fils. Alors, pourquoi sa justice n’accueille-t-elle pas
dans une même égalité tous les hommes et toutes les femmes de la terre ?
À celles
qui protestaient qu’il s’agissait là d’une pensée impie, que la justice de
Moïse ne pouvait s’adresser qu’au peuple choisi par Yhwh dans son Alliance,
Rachel répondait :
— Croyez-vous
que le Tout-Puissant ne désire le bonheur et la justice que d’un seul
peuple ? Non ! C’est impossible. Cela Le rabaisserait au rang de ces
divinités grotesques qu’adorent les Romains ou de ces idoles perverses que
vénèrent les Égyptiens, les Perses et les Barbares du Nord.
Des
protestations jaillissaient. Comment Rachel osait-elle penser une chose
pareille ? Depuis l’origine, l’histoire d’Israël ne consacrait-elle pas le
lien entre Dieu Tout-Puissant et Son peuple ? Yhwh n’avait-Il pas dit à
Abraham : « Je te choisis et ta descendance sera dans Mon lien
d’Alliance. »
— Mais
Yhwh a-t-Il dit qu’il n’accorderait Sa justice, Sa force et Son amour à aucun
autre peuple ?
— Veux-tu
que nous cessions d’être juives ? murmurait une femme de Tarichée,
effarée. Jamais je ne pourrais te suivre. Ce n’est pas concevable…
Rachel
secouait la tête, expliquait encore :
— N’avez-vous
jamais songé que l’Eternel ait pu vouloir l’Alliance avec notre peuple comme
une première étape ? Pour que nous tendions la main à tous les hommes et à
toutes les femmes ? Voilà ce que, moi, je pense. Oui, je crois que Yhwh
attend de nous plus d’amour envers les hommes et les femmes de ce monde, sans
exception.
Longuement,
discutant jusque dans l’obscurité de la nuit où s’épuisait l’huile des lampes,
Rachel cherchait à démontrer que l’obsession des rabbins et des prophètes à
conserver leur sagesse et leur justice pour le seul bénéfice du peuple d’Israël
était peut-être la source de leur malheur.
— Ce
que tu veux, se moquait une autre, c’est donc que l’univers entier devienne
juif ?
— Et
pourquoi pas ? rétorquait Rachel. Lorsqu’un troupeau se scinde et que la
plus petite de ses parties se met à l’écart, elle s’affaiblit et risque de se
faire dévorer par les fauves. Il en va ainsi de nous. Les Romains l’ont
compris, eux qui veulent imposer leurs lois aux peuples du monde entier afin de
demeurer forts. Nous aussi, nous devrions avoir l’ambition de convaincre le
monde que nos lois sont plus justes que celles de Rome.
— La
belle contradiction ! Ne dis-tu pas toi-même que notre justice n’est pas
assez juste, puisqu’elle nous écarte, nous, les femmes ? En ce cas,
pourquoi vouloir l’imposer au reste du monde ?
— Tu
as raison, admettait Rachel. Avant tout, nous devrions changer nos lois…
— Eh
bien, tu ne manques pas d’imagination ! lançait une rieuse, détendant
l’atmosphère. Changer la cervelle de nos époux et de nos rabbins, voilà un défi
qui s’annonce plus difficile encore à relever que d’en finir avec Hérode, je
vous le dis.
*
* *
Des jours
durant, Miryem les avait écoutées débattre ainsi, leur humeur alternant entre
le plus grand sérieux et le rire. Elle intervenait rarement, préférant laisser
à d’autres, plus expérimentées, le plaisir d’affronter l’esprit aigu de Rachel.
Pourtant,
jamais les débats ne se muaient en disputes ou en chicanes stériles. Bien au
contraire, les oppositions étaient une école de liberté et de respect. La règle
édictée par Rachel, sur le modèle des écoles grecques, était que nulle ne
devait réprimer ses opinions, que nulle ne devait condamner les paroles, les
idées et même les silences de ses compagnes.
Cependant,
après avoir enthousiasmé Miryem, ces riches échanges en vinrent à
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