Marie
l’approuver.
— Elle
refuse ce qui la fait trop souffrir. Ce n’est pas perdre l’esprit. Nous
agissons tous ainsi.
— C’est
ainsi que nous ne savons plus discerner le Bien du Mal et les Ténèbres de la
Lumière…
— Nous
autres, esséniens, lui fit remarquer Joseph avec un sourire, nous croyons que
celui qui est mort peut ressusciter.
— Oui,
mais uniquement par la volonté de Dieu Tout-Puissant. Non par notre pouvoir. Et
aussi parce que celui qui sera ressuscité aura vécu une existence parfaite dans
le bien… Ce qui ne saurait être le cas de ce am-ha-aretz !
Joseph hocha
la tête machinalement. Il avait souvent ce débat avec ses frères. Dans cette
maison, chacun connaissait son point de vue : la vie méritait qu’on la
soutienne jusque dans les ténèbres et la mort, car elle était la lumière de
Dieu donnée à l’homme. La vie était un don précieux, le signe même de la
puissance de Yhwh. Il fallait tout mettre en œuvre pour la soutenir. Ce qui
n’excluait pas que l’homme, s’il atteignait un jour la pureté suprême, puisse
faire renaître la vie là où elle semblait avoir disparu. Que Joseph ait maintes
fois professé cette opinion n’empêchait pas Gueouél d’insister. Ainsi,
éprouva-t-il le besoin d’ajouter :
— Aucun
d’entre nous n’a encore vu de ses propres yeux le miracle de la résurrection.
Ceux que nous soignons et que nous rendons à la vie ne sont pas encore morts.
Nous ne sommes que des thérapeutes. Nous dispensons l’amour et la compassion,
dans les étroites limites du cœur et de l’esprit humains. Seul Yhwh accomplit
des miracles. Cette fille se trompe. La douleur lui fait croire que tu es aussi
puissant que l’Éternel. C’est un blasphème.
Cette
fois, Joseph approuva avec plus de conviction. Considérant le visage endormi de
Miryem, il laissa passer un peu de temps et déclara :
— Oui,
Dieu seul accomplit les miracles. Cependant, considère cela, frère
Gueouél : Pourquoi vivons-nous à Beth Zabdaï et non dans le monde, parmi
les autres créatures ? Pourquoi soutenons-nous la vie ici, à l’intérieur,
et non dehors, hommes parmi les hommes, si ce n’est pour la rendre plus forte
et plus riche ? Au fond de notre cœur, nous espérons être nous-mêmes assez
purs et assez aimés de Yhwh pour que s’accomplisse en entier l’Alliance qu’il a
offerte à la descendance d’Abraham. N’est-ce pas pour cela que nous observons
si strictement les lois de Moïse ?
— Si,
maître Joseph ! Mais…
— Alors,
Gueouél, cela suppose que, de toute notre âme, nous espérons qu’un jour Yhwh
nous utilise pour réaliser Ses miracles. Sinon, nous aurons échoué à être Son
choix et Son bonheur. Et nous demeurerons de la race des hommes qui Le
déçoivent.
Gueouél
voulut répliquer, mais Joseph leva la main avec autorité.
— Tu
as raison sur un point, Gueouél, ajouta-t-il sèchement. Il serait mal
d’entretenir les illusions de la fille de Joachim de Nazareth. Elle ne doit pas
croire que nous sommes capables d’accomplir des miracles. Cependant, en tant
que médecin tu as tort : elle ne perd pas l’esprit. Elle souffre d’une
blessure invisible qui taille en elle une plaie aussi profonde qu’un coup
d’épée. Les mots qu’elle prononce, les espoirs qu’elle entretient, ne doivent
pas te paraître déments, mais sages : ils apaisent sa plaie aussi sûrement
qu’un emplâtre et permettent d’expulser la corruption hors du corps.
*
* *
Lorsque
Miryem se réveilla une nouvelle fois, elle répéta sa litanie de suppliques à
Joseph afin qu’il ramène Abdias à la vie. Cette fois, il lui dit :
— Après
ton arrivée, nous avons dit adieu au corps d’Abdias, comme nous le devions.
Nous l’avons enveloppé du linge des morts et l’avons recommandé à la lumière de
Yhwh. Sa chair est dans la terre, où elle redevient poussière ainsi que
l’Éternel l’a voulu en nous rendant mortels par la grâce de Son souffle. Sa
présence sera parmi nous, en esprit. Ainsi doit-il en aller. Maintenant, c’est
de ta santé que tu dois devenir la gardienne.
La voix de
Joseph était froide, dénuée de son habituelle douceur. Son visage était fermé,
et même sa bouche paraissait dure. Miryem se raidit. Gueouél la scrutait. Elle
croisa son regard et le soutint, avant de chercher à nouveau de l’aide dans
celui de Joseph.
— À
Magdala, tu nous as enseigné que la justice est le bien suprême, la voie vers
la
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