Marie
Joseph
l’impressionnait. Sa bienveillance, son calme, son crâne chauve, son regard
bleu et doux, le grand respect que lui témoignaient les jeunes esséniens qui
s’activaient dans la maison… tout l’intimidait en cet homme. Cependant, son
cœur saignait. Ce qu’il venait de vivre tournoyait dans son esprit et dépassait
son imagination.
Les doigts
de Joseph serrèrent affectueusement son épaule. Le sage le conduisit vers la
grande salle commune.
— Je
connaissais mal ce garçon, Abdias, remarqua-t-il. Mais Joachim, le père de
Miryem, m’en a dit beaucoup de bien. Cette mort est triste. Mais toutes les
morts sont tristes et injustes.
Ils
pénétrèrent dans une longue pièce voûtée, toute blanche, uniquement meublée
d’une immense table et de bancs.
— Il
ne faut pas t’inquiéter pour Miryem, dit encore Joseph. Elle est forte. Demain,
elle ira mieux.
À nouveau
Rekab fut impressionné par l’attention que lui marquait le maître des
esséniens. Même dans la demeure de Rachel, on ne le traitait pas avec autant
d’égards, lui, le cocher. Il chercha les yeux si bleus de Joseph et dit :
— Barabbas
le brigand était avec nous cette nuit. C’est lui qui a apporté le petit à
Magdala…
Joseph
hocha la tête. Il fit asseoir Rekab, s’installa près de lui. Un jeune frère
était déjà là, qui déposa devant eux une écuelle de semoule et un gobelet
d’eau.
Rekab, la
main un peu tremblante, porta à sa bouche une première cuillerée. Puis il
reposa la cuillère, se tourna vers Joseph et se mit à raconter toute l’horreur
qu’avait été ce voyage.
12 .
Miryem mit
plus de temps à se rétablir que Joseph ne l’avait prévu.
On l’avait
installée dans l’une des petites pièces du quartier des femmes, au nord de la
maison. Aussitôt qu’elle s’y trouva, elle protesta. Elle voulait être auprès
d’Abdias. Elle refusait de prendre du repos, de se calmer, d’être raisonnable
comme on l’en priait. Chaque fois qu’une servante lui répétait qu’elle devait
prendre soin de sa propre santé et non de celle d’Abdias, puisqu’il était mort,
Miryem l’insultait sans retenue.
Néanmoins,
après une dure journée de luttes et de cris, les servantes parvinrent à lui
faire prendre un bain, manger trois cuillerées de semoule dans du lait et
ingurgiter une tisane qui l’endormit sans qu’elle en eût conscience.
Pendant
trois jours, il en alla ainsi. Dès qu’elle ouvrait les yeux, on la nourrissait
et on l’abreuvait d’une tisane narcotique. Lorsqu’elle se réveillait, Miryem
trouvait Joseph près d’elle.
En vérité,
il venait la visiter le plus souvent possible. Tandis qu’elle dormait, il la
scrutait, anxieux. Mais quand elle ouvrait les paupières, il souriait et
prononçait des paroles apaisantes.
Elle ne
l’écoutait guère. Inlassablement elle lui posait les mêmes questions. Ne
pouvait-il soigner Abdias ? N’était-il pas possible de le faire revenir
d’entre les morts ? Pourquoi Joseph n’était-il pas capable d’accomplir ce
miracle ? N’était-il pas le plus savant des médecins ?
Joseph se
contentait de hocher la tête. Évitant de donner des réponses tranchées, il
cherchait à détourner Miryem de ses angoisses et de son obsession. Il ne
prononçait jamais le nom d’Abdias et s’obstinait avant tout à la faire manger
et à lui faire boire au plus vite le breuvage qui l’endormait.
Joseph ne
venait jamais seul auprès de Miryem. À l’intérieur de la communauté, la règle
ne permettait pas qu’un frère reste seul en compagnie d’une femme. Le plus
brillant de ses disciples, né à Gadara, en Pérée, et qui se nommait Gueouél,
l’accompagnait. Il avait à peine trente ans, un visage fin, un peu osseux, et
un regard qui dardait sur chaque geste et chaque être un esprit prompt au
jugement.
L’admiration
de Gueouél pour Joseph était grande, cependant son intransigeance gâchait
souvent ses qualités et empoisonnait l’humeur de ses compagnons. Joseph
s’accommodait de ce caractère sourcilleux. Il arrivait qu’il s’en moquât avec
une affectueuse ironie. Le plus souvent, il s’en servait pour se revigorer
l’esprit, comme on se passe de l’eau froide sur la nuque au petit matin afin de
se laver des résidus de la torpeur nocturne.
Quand
Miryem, ignorant obstinément les réponses de Joseph, répéta ses questions pour
la troisième fois, Gueouél déclara :
— La
raison la fuit. Joseph hésita à
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