Marie
prenne pas la parole la première.
— J’espère
ne plus jamais t’imposer ma corruption de femme, frère Gueouél. Nul ne peut
défaire ce que le Tout-Puissant a fait. Femme je suis née, femme je mourrai.
Mais le temps de ma présence ici, je peux gommer l’apparence de ma féminité
pour que ton regard ne souffre plus de corruption.
Elle dit
cela avec un sourire dénué de la moindre ironie.
Il y eut
un temps de silence. Le rire de Joseph, bientôt rejoint par celui des autres
frères présents, résonna si fort dans la cour que même les malades qui
souffraient s’en amusèrent.
*
* *
Durant des
semaines, puis des mois, il n’y eut plus d’autres incidents. Frères, servantes,
malades, tous s’habituèrent au visage de Miryem.
Il n’était
guère de jour sans qu’elle apprenne à mieux soigner et à mieux soulager les
douleurs, même s’il existait quantité de maladies dont la guérison demeurait,
même pour Joseph, une énigme.
De temps à
autre, et toujours brièvement, profitant de la discrétion d’un moment, d’une
rare intimité, il échangeait quelques phrases avec elle.
Une fois,
il lui dit :
— Chacun
de nous doit lutter contre les démons qui s’acharnent à le détourner du chemin
qui l’attend. Certains portent beaucoup de ces démons agrippés en cachette à
leur tunique. Ils ont peu de chance de leur échapper. Certains thérapeutes
pensent que les maladies que nous ne sommes pas capables de comprendre ni de
guérir sont leur œuvre. Je ne le crois pas. Pour moi, les démons sont une
engeance bien visible. Et quand je te vois, fille de Joachim, je sais que tu ne
luttes que contre un seul démon, mais très puissant. Celui de la colère.
Il dit
cela de son habituel ton calme, persuasif. La bienveillance animait son regard.
Miryem ne
répondit pas, elle hocha simplement la tête en signe d’assentiment.
— Nous
avons de nombreuses raisons d’éprouver de la colère, reprit Joseph. Plus que
nous ne pouvons en supporter. C’est pourquoi la colère ne peut rien engendrer
de bon. A la longue, elle agit comme un venin : elle nous empêche
d’accueillir l’aide de Yhwh.
Une autre
fois, il déclara en riant :
— J’ai
appris que les servantes de la maison ne pensent qu’à t’imiter. Gueouél
s’inquiète et se demande si, un matin, on va toutes vous trouver avec des
cheveux courts. Je lui ai répondu qu’il risquait plutôt de se réveiller un beau
matin sans une seule servante dans la maison, car tu les aurais emmenées loin
d’ici afin de fonder une maison de femmes…
Miryem rit
avec lui. Joseph passa sa paume sur son crâne chauve. Toute son attitude
exprimait qu’il plaisantait tout en étant profondément sérieux.
— Ce
ne serait pas impossible, tu en sais déjà beaucoup.
— Non,
j’ai encore trop à apprendre, répliqua Miryem avec la même expression à la fois
sereine et sévère. Et ce n’est pas une maison de femmes qu’il faudrait ouvrir,
mais une maison pour tous. Femmes ou hommes, am-ha-aretz ou sadducéens, riches,
pauvres, Galiléens, Samaritains, Juifs et ceux qui ne le sont pas. Une maison
où l’on s’unisse comme la vie nous unit et nous mêle. Et non des murs derrière
lesquels on se retranche des autres.
Joseph ne
répondit pas, interloqué et pensif.
*
* *
Les
premières pluies d’hiver firent tomber les feuilles des arbres, rendant les
chemins impraticables. Il y eut moins de malades. L’air sentait le feu des
foyers. Les frères se mirent à arpenter la campagne autour de la maison, car
c’était l’un des meilleurs moments pour récolter les herbes nécessaires aux
onguents, pommades et breuvages. Miryem prit l’habitude de les suivre à
distance pour repérer leur cueillette.
Un matin,
Joseph la trouva qui attendait au bord d’un chemin, assise sur une roche. Comme
il était en avance sur les autres, elle lui confia :
— Sais-tu
qu’Abdias vient souvent me visiter ? Pas en rêve, mais de jour et quand
j’ai les yeux bien ouverts. Il me parle, il est heureux de me voir. Et moi plus
encore.
Elle rit
et ajouta :
— Je
l’appelle mon petit époux !
Joseph
fronça les sourcils, demanda d’une voix encore plus douce que
d’ordinaire :
— Et
que te dit-il ?
Miryem
posa un doigt sur ses lèvres et secoua la tête.
— Crois-tu
que je sois folle ? demanda-t-elle, amusée par l’inquiétude qu’elle
devinait chez Joseph. Ruth, elle, en est convaincue !
Joseph
n’eut pas la
Weitere Kostenlose Bücher