Marie
Miryem :
— Ton
Josué, depuis qu’il est mort, tu le vois ? Ruth hésita.
— En
rêve, souvent. Mais plus depuis des années.
— Abdias,
je le vois. Pourtant, je ne dors pas et j’ai les yeux ouverts. Je le vois et il
me parle.
Un frisson
parcourut l’échine de Ruth. Ses yeux scrutaient l’obscurité autour d’elles. Au
cours de sa longue existence, elle avait entendu quantité d’histoires de ce
genre. Des morts qui quittaient leurs tombes et erraient. Vraies ou fausses,
elle les détestait. Surtout à les écouter assise sur une tombe, dans le noir,
sur une terre qui n’était pas bénite par les rabbis !
— La
faim te joue des tours, déclara-t-elle d’une voix aussi ferme que possible.
— Non,
je ne le crois pas, répondit calmement Miryem. Ruth ferma les yeux. Mais quand
elle les rouvrit, elle ne vit rien de plus qu’avant.
— Qu’est-ce
qu’il te dit ? murmura-t-elle.
Miryem ne
répondit pas, mais elle souriait. Un sourire aussi difficile à comprendre que
sa colère.
— Ne
me fais pas peur, la supplia Ruth. Je ne suis pas une femme courageuse. Je
déteste la nuit et les ombres. Je déteste que tu voies des choses que je ne
vois pas.
Elle
poussa un petit cri de terreur car la main de Miryem buta contre son bras avant
de trouver la sienne et de l’agripper.
— Il
n’y a pas de raison d’avoir peur. Tu as eu raison de venir. Pour Joseph aussi,
tu dois avoir raison.
— Alors,
tu restes ?
— Il
n’est pas encore temps que je parte.
14.
Miryem
demeura intransigeante sur la durée de son deuil. Il se prolongea sept jours,
comme le voulait la coutume.
Les
habitants de Beth Zabdaï prirent l’habitude, le matin et le soir, en partant et
en revenant des champs, de venir prier près d’elle comme si la tombe d’Abdias
s’était trouvée en terre sacrée. Parfois, ceux qui accompagnaient les malades
les rejoignaient. Ils mêlaient à leurs prières des vœux pour la santé de leurs
bien-aimés.
Peu à peu,
cela créa une animation inhabituelle qui attira l’attention des frères
esséniens. Au crépuscule, les chants des prières sur la tombe d’Abdias
parvenaient à percer les murs de la maison. Cela en troubla quelques-uns. Ils
se demandèrent s’il ne serait pas bien et bon d’aller unir leurs prières à
celles des villageois.
La prière
n’était-elle pas le principe premier de leur retrait du monde ? La prière
ne devait-elle pas assurer le règne de la lumière de Yhwh sur les siècles de
ténèbres ?
Il en
résulta un débat qui ne fut pas sans dureté. Gueouél et quelques autres
protestèrent vivement. Les frères s’aveuglaient et se dévoyaient,
assurèrent-ils. La prière des esséniens ne pouvait se confondre avec le simple
exercice de paysans ignorants qui ne savait pas lire une ligne de la
Thora ! De surcroît, comment pouvait-on songer à prier pour un am-ha-aretz
auquel on avait refusé une sépulture à cause de son impureté ?
Oubliait-on
l’enseignement des sages et des rabbis qui avaient, maintes fois, déclaré que
les am-ha-aretz n’avaient pas de conscience humaine et donc étaient impropres à
l’Alliance que Yhwh entretenait avec Son peuple ?
Ces
arguments ne convainquirent pas tous les frères. La ferveur de la prière était
unique et inqualifiable. Plus nombreuses seraient les prières, plus purifié le
monde s’en trouverait. Et peut-être bien aussi plus proche en serait la venue
tant espérée du Messie. Gueouél et les autres oubliaient-ils que c’était là le
but ultime ? Chaque prière était un élan nouveau vers Yhwh. C’était à Lui,
à Lui seul, d’effectuer le tri que la courte vue des hommes leur interdisait.
Si cette fille de Nazareth, les paysans et les malades joignaient leurs prières
dans un unisson d’amour pour le Tout-Puissant, où était le mal ?
Cela fit sortir
Gueouél de ses gonds.
— Allez-vous
un jour vous mettre à prier pour les chiens et les scorpions ? Est-ce là
les purs que vous voulez entraîner sur l’île des Bienheureux ? N’avez-vous
d’autre ambition que de la peupler de la lie de la terre ?
Durant ce
débat, Joseph d’Arimathie demeura silencieux. Néanmoins le dernier mot lui
revenait. S’il se refusa à trancher sur la conscience et l’âme des am-ha-aretz,
il déclara que ceux qui iraient prier sur la tombe du garçon auprès de la fille
de Nazareth ne seraient pas en faute.
En vérité,
aucun des esséniens ne s’y risqua. Les arguments de
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