Marie
possibilité de répondre : les frères les rejoignaient et les
observaient avec insistance.
Par la
suite, Joseph ne se montra jamais curieux de ces visites d’Abdias. Peut-être
attendait-il, selon sa manière, que Miryem elle-même lui en reparle. Elle ne le
fit pas. Pas plus qu’elle ne répondait à Ruth qui, de temps à autre, un peu
moqueuse, ne pouvait retenir sa langue et lui demandait des nouvelles de son
am-ha-aretz.
*
* *
Il
neigeait quand, un matin, un groupe de personnes arriva à la maison en braillant.
Elles transportaient une très vieille femme. Le toit de sa maison, miné par
l’humidité, s’était écroulé sur elle.
Joseph
était dehors, cueillant des herbes malgré le mauvais temps, et c’est Gueouél
qui se présenta dans la cour pour ausculter la femme. Miryem était déjà penchée
sur elle.
Devinant
Gueouél dans son dos, elle s’écarta vivement. Gueouél examina le visage de la
femme, les plaies nombreuses mais peu profondes de ses jambes et de ses mains.
Au bout
d’un moment, il se redressa et déclara que la femme était morte et qu’il n’y
avait plus rien à faire. Le cri de Miryem le fit sursauter.
— Non !
Bien sûr que non ! Elle n’est pas morte ! Gueouél la foudroya du
regard.
— Elle
n’est pas morte, insista Miryem.
— Le
saurais-tu mieux moi ?
— Je
sens son souffle ! Le sang passe dans son cœur ! Son corps est chaud.
Gueouél
fit un grand effort pour contrôler sa rage. Il prit les mains de la vieille et
les croisa sur sa tunique déchirée et couverte de poussière. Il se tourna vers
ceux qui les entouraient et leur dit :
— Cette
femme est morte. Vous pouvez préparer sa sépulture.
— Non !
Cette
fois, Miryem le bouscula sans ménagement. Elle plongea un linge dans un broc de
vinaigre et commença à frotter les joues de la vieille.
— Ah !
ricana Gueouél, tu tiens absolument à ton miracle !
Ne lui
accordant aucune attention, Miryem réclama davantage de linges pour laver le
corps de la vieille, demanda que l’on fasse chauffer de l’eau pour un bain.
— Ne
vois-tu pas que Yhwh lui a retiré la vie ? Ce que tu fais sur le corps d’une
morte est sacrilège ! s’indigna Gueouél. Et vous tous qui l’aidez, vous
aussi êtes sacrilèges !
Après un
bref instant d’hésitation chacun s’activa selon les ordres de Miryem. Lançant
des imprécations, Gueouél disparut dans la maison.
La vieille
femme fut plongée dans un baquet d’eau chaude, dans la cuisine du quartier des
femmes. Miryem ne cessait de lui frotter la gorge et les joues avec du vinaigre
allongé de camphre. Cependant tous commençaient à douter car, en vérité, la
vieille femme ne montrait plus aucun signe de vie.
Au milieu
du jour, Joseph fut de retour. Prévenu, il accourut. Après que Miryem lui eut
expliqué ce qu’elle avait fait, il souleva les paupières de la femme et chercha
les pulsations du sang dans le cou.
Il lui
fallut un peu de temps pour les trouver. Il se releva en souriant.
— Elle
vit. Tu as raison, elle vit. Mais à présent il faut plus d’eau chaude et lui
faire boire quelque chose qui pourrait aussi bien la tuer que la réveiller.
Il
disparut dans la maison et revint avec une potion huileuse et noire, à base de
racines de gingembre et de différents venins de serpent.
Avec
beaucoup de précautions, il en fit couler quelques gouttes dans la bouche
édentée de la vieille.
Il fallut
attendre jusqu’à la nuit, renouveler constamment l’eau brûlante du bain pour
qu’enfin on l’entendît distinctement pousser un râle.
Les
servantes comme ceux qui avaient transporté la blessée reculèrent, plus de
terreur que de joie. Ils avaient bien voulu croire qu’elle était vivante alors
qu’elle avait l’apparence d’une morte. Maintenant qu’ils avaient la preuve
qu’elle était en vie, ils en étaient épouvantés. L’un d’eux cria :
— C’est
un miracle !
Des
servantes se mirent à pleurer, d’autres hurlèrent :
— C’est
un miracle ! Un miracle.
Ils
acclamèrent le Tout-Puissant, se précipitèrent dehors, s’égosillant pour
annoncer le miracle.
Joseph,
agacé autant qu’amusé, regarda Miryem.
— Voilà
qui va plaire à Gueouél. Dans un moment, tout le village sera devant la porte à
crier au miracle. Il serait étonnant que l’un d’eux n’improvise pas une
prophétie.
Miryem ne
parut pas l’entendre. Elle tenait les mains de la vieille, la considérant avec
attention.
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