Marie
Gueouél et de ses partisans
étaient trop ardus et trop inquiétants. Pas un des frères ne voulut se hasarder
à poursuivre une dispute qui pouvait rompre l’harmonie de la communauté.
Cependant Ruth, à l’occasion, croisa le regard de Joseph, brillant de
satisfaction.
*
* *
Lorsque le
deuil s’acheva, Miryem entra dans la maison sans que nul ne s’y opposât.
Elle fit
ses ablutions dans la cuisine du quartier des femmes. Ruth et deux autres
servantes y remplirent un grand baquet d’eau pure.
Miryem
faisait peine à voir. Elle avait maigri au-delà du raisonnable. En se creusant,
son visage s’était durci. En quelques jours elle paraissait avoir vieilli de
plusieurs années. Ses yeux cernés avaient un éclat difficile à soutenir. Ses
muscles paraissaient tendus comme des cordes. Sous le masque de la fatigue et
de la volonté, l’on devinait non pas la beauté, mais une grâce sauvage,
inquiétante autant qu’attirante, comparable à nulle autre. Sans doute était-ce
cette étrangeté, ajoutée à son obstination, qui avait séduit les gens du
village et les avait incités à venir prier près de Miryem.
Maintenant,
Ruth savait que sous l’apparente fragilité se cachait une force inflexible,
comme Joseph l’avait subodoré dès le début. Et que cette force rendait Miryem
difficile à comprendre, différente d’un être ordinaire. D’ailleurs, il
suffisait pour s’en convaincre de l’entendre plaisanter, alors que les
servantes lui jetaient de l’eau sur les reins.
Où puisait-elle
le goût du rire, elle qui, hier encore, maudissait l’injustice et l’horreur de
la mort ?
*
* *
Dès le
lendemain, Miryem apparut dans la cour pour accueillir les malades que
venaient, deux fois par jour, visiter Joseph et les frères.
On voyait
là beaucoup de vieillards, de nombreuses femmes avec de jeunes enfants. Ils se
tenaient dans l’ombre et attendaient, accroupis. Les servantes leur offraient à
boire et, quelques fois, distribuaient de la nourriture aux enfants les plus
affamés.
Elles
apportaient aussi les linges et tout le nécessaire aux soins. Certains
breuvages et pommades, les plus ordinaires et les plus fréquemment utilisés,
étaient préparés à l’avance dans la cuisine et selon des recettes inventées par
Joseph.
C’est
ainsi que Miryem et lui se revirent. Ils n’échangèrent que peu de mots.
Miryem
portait une grande cruche de lait, qu’elle versait dans des écuelles de bois
tendues par les mères des petits malades. Gueouél suivait Joseph, attentif des
yeux et des oreilles, selon son habitude.
En la
découvrant, Joseph s’approcha, la salua d’un sourire amical.
— Je
suis heureux que tu demeures dans cette maison.
— Je
reste pour apprendre.
— Apprendre ?
s’étonna Gueouél. Qu’est-ce qu’une femme peut bien apprendre ?
Miryem ne
répondit pas. Joseph non plus. Pas plus son visage que son sourire ne
frémirent. Ceux qui les entouraient eurent l’impression que Gueouél avait parlé
dans le vide.
Pendant
des jours il en alla ainsi. Miryem suivait les conseils de Ruth et apportait
aux malades toute l’aide dont elle était capable. Elle leur parlait avec
douceur, les écoutait aussi longtemps qu’ils le désiraient, préparait les
breuvages et les emplâtres qu’elle apprit peu à peu à placer avec efficacité.
Elle ne se
tenait jamais bien loin de Joseph lorsqu’il venait faire sa visite, mais il ne
lui adressait pas la parole ni ne cherchait à croiser son regard. Cependant,
devant les malades, surtout devant ceux dont le mal paraissait mystérieux, il
parlait assez fort pour qu’elle l’entende. Il posait quantité de questions,
palpait et scrutait, réfléchissait à haute voix.
Si bien
que Miryem commença peu à peu à comprendre qu’une douleur au ventre pouvait
provenir d’une boisson ou d’une nourriture, ou que celle de la poitrine pouvait
être causée par l’humidité d’une maison ou par les poussières du grain après la
moisson. Une vieille blessure d’enfance aux pieds, dont on s’était accommodé,
pouvait tordre à jamais le dos d’un adulte.
Les yeux
et la bouche étaient le siège de toutes les souffrances. Chaque jour, on devait
prendre soin de purifier l’une à l’aide du citron et de la girofle, les autres
grâce au khôl. Quant aux femmes, elles souffraient d’infections dont elles
n’osaient jamais parler, bien que la douleur les terrassât autant que si on
leur passait une dague à travers le
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