Marie
Maintenant, sous ses paupières fripées on voyait ses yeux bouger. De
sa gorge provenait le ronflement saccadé de sa respiration.
Miryem
chercha les yeux de Joseph.
— Gueouél
a raison. Il ne s’agit pas d’un miracle. C’est ton savoir et ta potion qui lui
ont rendu la vie, n’est-ce pas ?
15.
La
prévision de Joseph s’accomplit.
Il ne
fallut guère de temps avant que le chemin de la maison de Beth Zabdaï ne
s’emplisse d’une foule bigarrée marmonnant des prières du matin au soir. Parmi
eux, quelques hommes dépenaillés chantaient et criaient plus fort que les
autres. Sans une hésitation, ils se désignaient comme les prophètes des temps à
venir. Certains se livraient aux pires excentricités, assurant qu’ils allaient
accomplir de nouveaux miracles. D’autres haranguaient l’assemblée avec des
descriptions de l’enfer si terribles et si précises qu’on eût cru qu’ils en
revenaient. D’autres encore excitaient les malades en assurant que la main de
Dieu s’était posée sur les esséniens et que ceux-ci détenaient désormais le
pouvoir fabuleux de redonner vie aux morts, aussi bien qu’ils effaçaient les
plaies et anéantissaient les douleurs.
Furieux
devant ce chaos grandissant, les frères choisirent de préserver leurs prières
et leurs études. Ils fermèrent hermétiquement les portes, cessèrent
d’accueillir les malades. En désaccord avec cette décision, mais embarrassé
d’être à l’origine de ce désordre, Joseph ne s’y opposa pas. Il laissa Gueouél
se charger de cette clôture intempestive de la maison.
Lorsque
Ruth l’apprit à Miryem, celle-ci se contenta d’une moue indifférente. Seuls
l’intéressaient les soins qu’elle prodiguait à la vieille femme. Chaque jour
marquait un progrès. Celle qui avait paru si longtemps à bout de souffle
respirait mieux. Elle se nourrissait et la conscience lui revenait doucement.
Discret,
Joseph d’Arimathie venait l’ausculter chaque jour. Ses visites ressemblaient à
un rituel. Tout d’abord, il observait la vieille femme en silence. Puis il
inclinait la tête et, à travers un linge, écoutait les bruits de sa poitrine.
Il voulait alors savoir ce qu’elle avait bu, mangé et tout autant ce qu’elle
avait évacué. Enfin, il priait Miryem de lui palper les membres, le bassin et
les côtes. Il surveillait les réactions de douleur sur le visage de la
convalescente tout en guidant les doigts de Miryem. Ainsi, il lui apprenait à
reconnaître, sous les chairs, les os, les muscles et leurs éventuelles brisures
et contusions.
Cinq jours
après que, grâce à lui, se fut desserrée l’emprise de la mort, il
déclara :
— Il
est trop tôt pour savoir si les os de son dos et de ses hanches sont intacts et
si elle pourra remarcher. Néanmoins, je doute qu’ils soient atteints. Pour
l’instant, si tes doigts disent juste, elle n’a qu’une côte cassée. Cela lui
fera mal longtemps, mais elle le supportera. Le pire, c’est lorsque les os de
la poitrine se brisent et déchirent les poumons. Alors, nous ne pouvons rien faire,
sinon assister à une effroyable agonie.
Miryem lui
demanda comment il pouvait être certain que ce n’était pas le cas de cette
femme. Joseph secoua la tête en grimaçant.
— Quand
cela arrive, tu n’as aucun doute ! Respirer est un supplice. Il se forme sur
les lèvres des bulles teintées de sang. À l’expiration comme à l’inspiration,
la poitrine produit un grondement pareil à celui d’un orage diluvien !
— Mais
alors, si elle n’a rien de cassé, s’étonna Miryem, pourquoi cette femme
était-elle comme morte ?
— Parce
qu’elle a manqué d’air sous les décombres qui l’enterraient. Dans l’effort
qu’elle a fait pour survivre, son cœur a faibli. Il n’a pas vraiment cessé de
battre, mais ses pulsations étaient ralenties, ne la maintenant en vie que
grâce à un tout petit flux de sang. Car c’est d’abord cela, la vie : un
cœur qui bat et puise le sang dans tout le corps.
— Donc,
avec tes potions, tu as redonné force à son cœur ?
Joseph
opina avec un air de satisfaction.
— Rien
d’autre. Juste un coup de pouce à la volonté de Dieu. Certes, Lui décide, mais
ainsi va notre Alliance depuis Abraham : nous pouvons accomplir notre part
de travail afin de soutenir la vie sur cette terre.
Ses propos
contenaient un brin d’ironie, car Joseph ne voulait surtout pas paraître
présomptueux. Cependant, Miryem savait
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