Marie
parvenait plus à être heureux loin du travail de
l’atelier, sans l’odeur du bois, sans le bruit des gouges et des massettes
contre les fibres des cèdres et des rouvres. Car en Judée, où les maisons n’étaient
dotées que de toits plats de torchis et de briques cuites au soleil, un
charpentier vivait dans le désert de son savoir-faire.
Ainsi,
songeant que le temps de l’oubli était venu, accompagnés de Zacharias et
d’Élichéba, que leur désir de changement avait atteints à leur tour, Hannah et
lui s’étaient mis en route pour Nazareth avant que le plus dur de l’hiver ne
rende les routes impraticables.
La
première semaine de voyage s’écoula dans le bonheur, tant était vive leur joie
de se rapprocher du mont Tabor. Hannah, pourtant toujours si prompte à redouter
le pire, en avait le sourire aux lèvres et un peu d’insouciance dans l’âme.
Puis cela
était tombé comme la foudre. Le jour où ils approchaient de Nazareth.
Pourquoi
l’Éternel avait-Il éprouvé le besoin de les accabler une nouvelle fois ?
Pour quelle faute les punissait-Il sans relâche ?
Ils
avaient croisé une colonne de mercenaires. Joachim avait dissimulé son visage
et les mercenaires ne lui avaient accordé aucune attention particulière. Sa
barbe était d’ailleurs si longue désormais qu’il était certain de ne pas être
reconnu, même par un œil ami. Mais, comme toujours, les soldats d’Hérode
s’étaient ingéniés à se montrer hargneux. Ils avaient entrepris de fouiller le
char, avec les violences et les humiliations habituelles. Hannah avait été
saisie de panique. Dans son empressement grotesque et malheureux à faire preuve
de complaisance, elle avait fait basculer une jarre de vin sur la jambe d’un
officier. Il s’en était fallu de peu qu’il n’eût les pieds brisés. Miryem
imaginait la suite : le mouvement de colère, le glaive fiché dans la
maigre poitrine d’Hannah. Voilà. Tout était dit.
Hannah,
fille d’Emerence, n’était pas morte sur-le-champ. Tandis qu’elle souffrait le
martyre, ils avaient atteint Nazareth, puis la demeure de Yossef. Elle avait
mis une longue nuit à rejoindre le Seigneur Tout-Puissant. Un chemin accompli
avec peine et angoisse, sans aucune paix, comme le reste de sa vie.
Peut-être,
écrivait encore Joachim non sans amertume, peut-être Joseph d’Arimathie
aurait-il su soigner cette plaie et sauver sa fidèle Hannah.
Mais
Joseph est loin et toi aussi, ma fille très aimée, tu es loin. Longtemps j’ai
fait l’effort de me satisfaire de ta pensée pour combler ton absence.
Aujourd’hui je te voudrais près de moi. Ta présence me manque, ton esprit et
tout ce sang neuf qui coule en toi et me fait entrevoir l’avenir moins sombre,
me manquent. Tu es la seule douceur du monde qu’il me reste.
*
* *
Rekab le
cocher dit :
— Je
te conduis à Nazareth dès que tu le veux. Rachel ma maîtresse m’a ordonné de te
servir aussi longtemps que tu le voudras.
Mariamne
approuva.
— Et
moi, je vais avec toi. Je ne te quitte pas. Miryem répondait par des silences.
Une sorte de vent glacé lui vrillait la poitrine. Elle souffrait pour la
douleur endurée par sa mère avant de mourir, mais elle souffrait plus encore
pour son père, dont les mots résonnaient en elle. Elle déclara enfin :
— Oui,
il faut partir au plus vite.
— On
le pourrait dès aujourd’hui, fit Rekab. Il reste beaucoup d’heures avant la
nuit, mais il n’est pas mauvais que les mules se reposent jusqu’à demain. La
route sera longue jusqu’à Nazareth. Au moins cinq jours.
— Alors,
demain à l’aube.
C’est ce
qu’elle annonça à Joseph d’Arimathie quand il quitta enfin la foule qui l’avait
accaparé jusqu’alors. Il était épuisé, avait les lèvres sèches d’avoir trop
parlé et les yeux cernés. Mais quand Miryem lui fit part de la lettre de
Joachim, il posa la main sur son épaule, d’un geste empli de tendresse.
— Nous
sommes mortels. Ainsi l’a voulu Yhwh. Afin que nous sachions mener une vie
vraie.
— Ma
mère est morte de la main d’un homme. Celle d’Hérode, celle d’un mercenaire
payé pour massacrer. Comment Yhwh peut-Il admettre une chose pareille ?
Est-ce Lui qui souhaite nos humiliations ? Même l’air qui nous entoure et
que nous respirons, il faudrait le briser. Les prières n’y suffiraient pas.
Joseph se
passa une paume lasse sur le visage, se frotta les yeux et répéta une
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