Marie
leur mépris de la vie.
Lorsque
Joseph entra dans la chambre où reposait la convalescente, Miryem et Ruth
virent que son visage, d’ordinaire serein et accueillant, était aussi clos et
dur qu’un galet. Il ne dit rien jusqu’à ce que des pleurs et des cris stridents
le fassent tressaillir.
— Ceux
qui se prétendent prophètes ont plus d’arrogance que nous, les esséniens, que
Gueouél lui-même, gronda-t-il. Ils croient atteindre Dieu en se faisant
calciner dans le désert. Ils demeurent des mois debout sur des colonnes, se
nourrissent de poussière et boivent à peine, jusqu’à ce que leur chair se change
en vieux cuir. Ils s’abrutissent de fausses vertus. Avec cet amour feint de
Dieu, ils contestent Sa volonté de faire de nous des créatures à Son image. Et
s’ils hurlent et se fouettent pour hâter la venue du Messie, c’est qu’ils
espèrent que le Messie nous libérera de nos corps livrés à la tentation. Quelle
aberration ! Ils oublient que le Tout-Puissant nous veut hommes et
femmes ! Il nous aime bien-portants et heureux, non telles des larves
affligées de chancres et de morsures de démons.
La voix de
Joseph, emplie de violence contenue, résonnait dans le silence. Miryem releva
le visage et offrit à Joseph un sourire qui le sidéra.
— S’il
est des hommes qui détestent à ce point les êtres humains, alors Dieu doit leur
faire signe. Il est responsable d’eux. Et s’il aime, comme tu le dis, que nous
soyons hommes et femmes, alors, Il ne doit pas nous envoyer des messagers
étranges que nous serions incapables de reconnaître. Son envoyé doit être un
homme qui nous ressemble et Lui ressemble. Un fils d’humain qui partagerait
notre destin, souffrirait nos douleurs et viendrait au secours de nos
faiblesses. Il porterait de l’amour, un amour qui vaut le tien, toi qui
t’obstines à redonner la vie aux plus vieux, aux plus usés des corps, et qui
dis que l’harmonie des actes et des paroles engendre la bonne santé.
Joseph
leva les sourcils, se détendit, d’un coup rejetant sa rage.
— Eh
bien, approuva-t-il, tu n’as pas perdu ton temps avec Rachel ! Te voilà
devenue une âpre batailleuse de la pensée.
Puis, se
rendant compte que ce n’était pas le compliment espéré par Miryem, il ajouta,
conciliant :
— Peut-être
as-tu raison. Celui que tu décris serait le plus beau des rois d’Israël. Hélas,
Hérode est toujours notre roi. Et le tien, d’où viendrait-il ?
*
* *
Sept jours
plus tard, le brouhaha autour de Beth Zabdaï n’avait pas faibli. La rumeur
d’une résurrection miraculeuse s’était propagée bien au-delà de Damas. De
l’aube au crépuscule, de nouveaux malades se mêlaient à ceux qui venaient
quotidiennement écouter les péroraisons des prétendus prophètes.
Les frères
esséniens craignaient que la foule, enflammée jusqu’à la démence par des
promesses de guérisons miraculeuses, n’envahisse la maison. A tour de rôle, dix
des frères montaient la garde derrière la porte solidement barricadée. Ne
pouvant sortir dans les champs, refusant l’entrée à quiconque, la communauté
fut bientôt contrainte de rationner la nourriture, comme lors d’un siège
guerrier.
Hélas, ces
mesures ne parvinrent qu’à exciter un peu plus les faux prophètes, qui en
prirent prétexte pour déclamer un mystérieux et menaçant message de Dieu.
L’agitation autour de la maison ne décrut pas, bien au contraire. Et c’est en
se frayant un chemin à travers ce chaos qu’un gros char de voyage se présenta
devant la porte un jour d’orage.
Le cocher
vint frapper à l’huis pour qu’on lui ouvre. Comme il se devait, en ces heures
de tension, les frères portiers ne prêtèrent aucune attention à ses appels. Il
s’égosilla une bonne heure sans effet. Les cris de la jeune fille qui
l’accompagnait n’eurent pas plus de succès.
Par
chance, le lendemain, avant la prière de l’aube et alors qu’une pluie glacée
noyait le village, la voix de Rekab, le cocher de Rachel, résonna jusqu’à
l’intérieur des cours. Ruth, qui allait puiser l’eau, comprit le sens de ces
appels. Déposant ses seaux de bois, elle courut prévenir Miryem :
— Celui
qui t’a conduite ici est devant la porte ! Miryem lui jeta un regard
d’incompréhension. La voix pressante, Ruth ajouta :
— L’homme
du char ! Celui qui t’a transportée avec le pauvre Abdias.
— Rekab…
ici ?
— Il
crie ton nom comme un perdu depuis
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