Marilyn, le dernier secret
prudent, Cukor avait pris ses précautions en écrivant au studio : « Marilyn Monroe est l'actrice la moins professionnelle avec laquelle il m'ait été donné l'occasion de travailler [1] . »
Une mise en garde sans effet.
Les protestations du metteur en scène n'y changeaient rien : à lui la délicate mission de gérer la Blonde.
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La suite fut tristement connue, colportée et amplifiée. Les absences répétées, la prestation pitoyable, le tournage jamais achevé, l'actrice virée et, in fine , le suicide d'une star.
George Cukor avait joué un rôle essentiel dans cette succession d'événements plus pitoyables, puis dramatiques, les uns que les autres. Sa mauvaise foi, son intransigeance, ses mémorandums à la direction du studio puis ses déclarations à la presse avaient accéléré la chute de Marilyn.
Or, grâce aux archives oubliées retrouvées dans la mine de sel d'Hutchinson, il était désormais possible de comparer les commentaires du réalisateur aux images qu'il avait lui-même tournées.
Des confrontations explosives… et peu à son honneur.
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Henry Schipper s'était intéressé à deux dates plus particulièrement. Celles liées aux scènes clés du film, qui nécessitaient une prestation impeccable de l'actrice principale.
La première correspondait au 14 mai 1962 et se trouvait dans la fameuse bobine 17. Ce matin-là, Monroe s'était présentée au maquillage à sept heures trente. Son entourage avait confié qu'elle se sentait en pleine forme et était décidée à jouer une quinzaine de pages du scénario. Mais le miracle n'avait pas eu lieu. Entre le 14 et le 18 mai, Marilyn avait seulement mis en boîte l'équivalent de deux pages et demie. Vingt-sept heures de travail et plus d'une centaine de prises avaient été nécessaires pour capter neuf misérables lignes de dialogue, assuraient ses adversaires. Si bien que Cukor, désespéré, avait immédiatement contacté Philip Feldman, l'un des patrons du studio, pour se plaindre. Les notes conservées par ce dernier après leur entretien ne laissaient d'ailleurs planer aucun doute quant à la responsabilité de Monroe. À plusieurs reprises était vilipendée l'inaptitude de la star à mener une scène à terme et son incapacité à être constante d'une prise à l'autre.
Cukor avait expliqué qu'il lui fallait tourner la même scène à des dizaines de reprises pour tenter de saisir une improbable continuité dans son jeu.
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La sentence, sans appel, ne correspondait pourtant en rien aux souvenirs de David Bretherton, monteur de l'époque chargé, à chaque fin de journée, d'effectuer le bout à bout des prises, puis de l'expédier à la direction du studio. « Je ne me souviens pas d'une erreur majeure dans la totalité du film que j'ai monté. Marilyn Monroe n'avait jamais été aussi belle. Et n'avait jamais aussi bien joué la comédie. Bien sûr, je l'avais connue dans un piteux état pour le tournage de Let's Make Love , mais ce n'était pas le cas sur le tournage de Something's Got to Give . »
De fait, au-delà de la force de ce témoignage, la vérité des images en disait bien plus long et vrai que les médisances et accusations de Cukor.
Car, comme la diffusion de la bobine 17 l'avait déjà démontré en 1988, Marilyn apparaissait tout bonnement au sommet de son art. Et l'ensemble des archives disaient la même chose : les 131 scènes enregistrées par Cukor ne témoignaient d'aucune erreur de la star.
Sa diction est parfaite, son jeu en tout point conforme aux indications du scénario et du metteur en scène. Répétant encore et encore le même passage et suivant scrupuleusement les diktats du cinéaste, Monroe conservait même une fraîcheur de jeu déroutante.
Et même lorsque, à cinq reprises, le réalisateur opta pour des gros plans, sa prestation fut excellente, ne laissant planer aucun doute quant à sa capacité à jouer excellemment tout au long de ce mois de mai 1962.
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Peut-être les scènes filmées du 14 au 18 mai constituaient-elles des exceptions ? Une sorte de miracle sans lendemain avant rechute ?
Afin d'en avoir le cœur net, il convenait de visionner d'autres images. Et de suivre Schipper dans sa démarche comparative. Le réalisateur avait en effet décidé de regarder de près la dernière apparition de Marilyn devant une caméra. Autrement dit, celle du jour tristement célèbre de son anniversaire, lorsque la Fox avait « oublié » de fêter ses 36 ans et George
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