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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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autrefois, des enfants crasseux jouaient dans la boue puante de la rigole, un linge loqueteux pendait aux fenêtres où se montrait parfois un visage hâve et inquiet. Avec le trafic du port en veilleuse, il n’y avait presque personne dans les sombres ruelles du quartier des marins. Beaucoup de maisons étaient abandonnées et certaines commençaient à tomber en ruine, volets aux vents et tuiles disjointes.  
    Mingehort fumait sa pipe devant la porte de l’auberge. Il avait monstrueusement grossi.  
    —  Com vatz, jœns ? s’écria-t-il. Quand me faites-vous un petit-neveu ?  
    — Ne sois pas pèc, touton, dit Pouriquète en rougissant de confusion, mais elle lança un coup d’œil malicieux à Bernard qui, du coup, rougit lui aussi.  
    — Tu pourrais faire un plus mauvais choix qu’Hazembat, petite. C’est de la bonne graine. Entrez donc un instant. Je n’ai plus de rhum, matelot, mais j’ai du vin borrut de la dernière vendange.  
    Quand ils furent attablés devant le vin nouveau couleur d’ambre trouble, Mingehort demanda :  
    — Qu’est-ce que tu dis de notre quartier, Hazembat ?  
    — Ça ne s’est pas arrangé.  
    — C’est plutôt pire. Nous sommes retournés à notre merde. C’est de la merde de bourgeois au lieu d’être de la merde d’aristocrate et ça ne sent pas meilleur, au contraire. Je ne sais pas très bien écrire, mais je sais compter. Depuis le début de la Révolution, il y a eu soixante-deux naissances dans le quartier et soixante-dix-huit morts, dont quarante-cinq enfants, et encore, il faudrait ajouter les hommes qui sont allés se perdre en mer ou se faire tuer à la guerre ! Tous au cimetière, c’est ça, l’égalité ! Buvons à l’égalité, les enfants !  
    Quinze jours plus tard, un gendarme vint à la Maison du Port chercher Bernard de la part du brigadier.  
    — J’ai la réponse de Bordeaux, lui dit Coutures. Il faut que tu te présentes quintidi prochain au commandant de l’arrondissement de la marine.  
    La Gigasse était en partance pour Bordeaux. Bernard s’y embarqua avec un étrange sentiment de déjà vu. Caprouil commandait toujours le courau et Lanusquet était devenu son second. La veille, Pouriquète lui avait rendu sa cocarde.  
    — J’ai gardé la fleur de vanille et j’ai mis une boucle de mes cheveux à la place. Si tu te souviens de moi comme tu te souviens de Belle, je serai contente.  
    Ce n’était pas vraiment un adieu, mais rien ne disait que la marine ne garderait pas Bernard une fois qu’elle aurait mis la main sur lui.  
    — Je ne crois pas, lui dit Caprouil, tandis qu’ils prenaient le déjeuner de pain et de ventrèche à hauteur de Cadillac. Il n’y a pas de navire de guerre à l’armement en ce moment à Bordeaux.  
    — Je ne suis pas pressé.  
    — Moi, si, dit Lanusquet. L’année prochaine, je me ferai enrôler à la forge de l’arsenal. Mon père connaît le commissaire chargé des ateliers.  
    — Ton père a le bras long, dit Caprouil avec une pointe d’acidité.  
    Lanusquet se redressa, comme piqué.  
    — Il a le bras long et j’ai les mains habiles. Je ne lui ai jamais rien demandé que de m’aider à vivre de mes mains !  
    — C’est ce que nous faisons tous ici, et sans aide !  
    Le ton était devenu subitement aigre et Bernard s’en inquiéta. Mais Lanusquet sourit.  
    — Ne t’excite pas, Caprouil. Tu sais bien que je n’ai pas l’intention de moisir toute ma vie sur ces vieilles coques de bois. J’ai le fer dans le sang.  
    — Alors, tu ne seras pas marin, parce que le fer ne flottera jamais.  
    — Peut-être, mais il y a beaucoup de choses en fer sur un bateau, en tout cas de quoi m’occuper !  
    La Gigasse mouilla au quai des Chartrons. Bernard ne devait se présenter à la marine que le lendemain. Après un bref arrêt à l’auberge de Tastet dont les affaires périclitaient et dont le fils était retourné à Langon comme apprenti boulanger, il en profita pour faire le tour de Bordeaux. Déchu de son ancienne splendeur, le quartier des Chartrons offrait, de manière plus évidente encore, le même spectacle de misère grouillante. Beaucoup des grandes maisons étaient fermées, notamment celle des O’Quin. Par contraste, au centre de la ville, Bernard nota plus d’ordre et de signes de relative opulence. Sur les allées, entre le théâtre et la place Saint-Germain, on voyait des jeunes gens, garçons et filles, en costumes

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