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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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Langon. Il y eut des gelées précoces et l’on vit le docteur Graullau courir les rues pour recommander à tout un chacun sa nouvelle méthode pour préserver les cultures : faire brûler des sarments verts afin de produire une épaisse fumée. On ne lui riait pas ouvertement au nez, mais on souriait sous cape. Le vieil homme avait ses dadas et la Révolution lui avait un peu fêlé la tête. Un jour, il rencontra Bernard qui se promenait avec Pouriquète sur les Allées Maubec.  
    — C’est toi qui as été soigné par mon ami Prunes Duvivier ?  
    — Oui, docteur !  
    — Tu as de la chance d’en avoir réchappé. Il doit encore en être aux chimères de Mesmer. Il ne sait pas que le nouveau principe universel de la physique, c’est le mouvement ! J’ai même fait une chanson là-dessus. Elle est assez coquine.  
    Il fit un clin d’œil à Pouriquète.  
    — Avis à toi, fillette ! prends garde au mouvement ! Il vint à la Maison du Port quelques jours avant la tuère qui était fixée au 15 janvier, ancien style. Tignous était à l’agonie. Le docteur le saigna et essaya vainement de le faire marcher pour activer, disait-il, le mouvement du sang.  
    Rien n’y fit. Tignous expira le surlendemain en marmonnant avec un rictus madré :  
    —  Que m’en vau shens pagar peatge !  
    Il n’avait pas payé de péage pour mourir, mais il aurait eu de quoi. Malgré ses déconvenues de Toulenne, il lui restait du bien. A peine avait-il fermé les yeux qu’une violente dispute éclata entre Perrot et Rapinette au sujet d’un nouveau partage de la succession, car Tignous n’avait pas d’héritiers directs. La Maison du Port, notamment, était en indivision et Rapinette exigeait qu’elle lui revînt.  
    — Le peu de bien qui reste dans la famille, glapissait Rapinette, vient de mon défunt mari, Rapinot, que Dieu ait son âme ! qui était votre frère aîné, à toi et à Tignous !  
    — Et que feras-tu d’une maison, femme ? répondait Perrot. Toi non plus, tu n’as pas un enfant vivant !  
    — J’ai des neveux du côté des Castets, et ils sont aussi marins que toi !  
    La tuère fut remise. On ne se parlait plus entre beau-frère et belle-sœur. Les Hazembat restaient le plus possible confinés dans leur second étage, à l’écart des disputes, et ne descendaient que pour partager la soupe dans un silence hargneux.  
    Trois jours après l’enterrement de Tignous, un gendarme vint porter un pli adressé à « Azembat Bernard ».  
    — Pas de doute, dit le père, ils ont oublié le H : ça ne peut être que la marine.  
    C’était bien la marine. Ordre était donné au matelot de 2 e classe Azembat Bernard de se présenter pour embarquement sur le lougre chasse-marée Mathurin-Mary au mouillage de Bacalan le 13 Pluviôse de l’An   VI avant midi.  
    — C’est le jour de la Chandeleur, dit Hazembate. Je te ferai des crêpes avant de partir.  
    Bernard avait rendez-vous avec Pouriquète dans l’ancienne sacristie de l’église Notre-Dame-du-Bourg. C’est là qu’ils se retrouvaient depuis les premiers froids. On avait arraché les lambris sculptés de la petite pièce attenante à la nef, maintenant à moitié détruite, mais on pouvait y accéder par une porte facile à bloquer et s’y trouver relativement à l’aise parmi les grandes herbes qui avaient poussé entre les pierres disjointes. Les jeux de mains s’étaient compliqués et raffinés, les baisers étaient devenus de longs épisodes passionnés aux limites du supportable, mais Pouriquète, à l’ultime moment, trouvait toujours assez de sang-froid pour se refuser à l’accomplissement.  
    — Quand dois-tu partir ?  
    — Après-demain. Mon père descend à Bordeaux avec l’ Aurore.  
    —  Ecoute, demain soir, à nuit tombée, passe par le jardin du côté des fossés. Tu sais où est ma fenêtre. J’y laisserai une bougie allumée. Je t’attendrai.  
    La journée du lendemain s’écoula en préparatifs. Faisant une trêve, Perrot et Rapinette furent d’accord pour qu’on allât tirer du grenier le sac de fardage qui avait servi à Tignous pendant sa brève carrière maritime. Personne n’avait plus beaucoup de cadeaux à faire, mais Guitoun apporta une vieille paire de bottes, un chandail troué et un caban.  
    — Je les avais gardés, mais je ne m’en servirai plus maintenant.  
    De son côté, Lanusquet donna à Bernard un couteau qu’il avait lui-même

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