Marin de Gascogne
d’changer d’amures ! J’dis pas que l’commandant L’Guillou, tout j’not qu’il est, ça soye pas un fin marin, mais l’a èncor’b’soin du vieux Cousseau pour lui montrer des tours, putain d’merd ’ !
Le Guillou était certainement un bon marin. Il appartenait à cette génération de patrons brestois dont la Révolution avait fait des officiers de marine. Il en gardait son franc-parler et une bonhomie bourrue qui le rendaient populaire, mais il ne plaisantait pas avec la discipline. Hazembat qui avait connu sur les couraus de la Garonne la camaraderie presque familiale des mariniers de Langon, puis, sur l’ Abigail, l’austère esprit de corps de la marine marchande américaine et, sur la Belle de Lormont, la pagaille épique et sauvage des corsaires, s’émerveillait de voir comment Le Guillou, flanqué de son maigre lieutenant nantais, l’enseigne Bottereaux, tenait son monde en main. Les sifflets de la maistrance faisaient manœuvrer le petit équipage mal dégrossi comme à la parade.
Sauf Cousseau et Labarrère, le gros maître canonnier, tout le monde était très jeune à bord. A vingt ans moins deux mois, Hazembat se sentait des airs d’ancêtre. Même Verdier, le chef timonier, était à peine plus âgé que lui. Originaire de Blaye, il avait navigué depuis l’âge de douze ans sur un caboteur qui faisait le trafic du blé et du vin entre la Bretagne et la Gironde. En tant qu’ancien batelier de Garonne, Hazembat sympathisa tout de suite avec lui.
Sous voiles, ils n’avaient guère l’occasion de causer, l’un relayant l’autre à la barre lors de chaque changement de quart, mais pendant que le navire était au mouillage dans l’anse de Palmyre, attendant le moment favorable pour sortir de la Gironde, Verdier avait initié Hazembat aux secrets de la timonerie du Mathurin-Mary, le faisant descendre jusque dans la sainte-barbe pour lui montrer le grand timon de chêne coulissant sur le demi-cercle de la tamisaille.
— Les drosses sont neuves. Il faudra les raidir dans quelques jours.
Le soir, ils se retrouvèrent sous les poutres basses du poste d’équipage devant une marie-jeanne de vin de Bourg que Verdier avait apportée avec lui.
— Je t’envie d’avoir fait les Antilles, dit-il. Moi, depuis plus de dix ans que je bourlingue, je ne me suis jamais éloigné de la côte de plus d’une trentaine de milles. Alors, tu penses si je l’ai assez vue ! Je m’y retrouverais les yeux bandés en pleine tempête. Avant le Mathurin-Mary, j’étais sur un autre chasse-marée qui faisait le service entre Rochefort et Lorient. On a quelquefois échangé des boulets à limite de portée avec des croisières anglaises et on a eu des coups de torchons carabinés entre Belle-Ile et Quiberon, mais jamais rien de bien sérieux. C’était comme de faire le commissionnaire en ville !
Hazembat savait que les chasse-marée étaient les mouches du coche des ports, toujours à s’acquitter de besognes subalternes de liaison ou de transport, sans jamais avoir l’occasion de participer à quelque action d’éclat. Il comprenait l’amertume de Verdier.
— Tout de même, dit-il en guise de consolation, même si nous y étions pas encore, le Mathurin-Mary a vu le feu à Quiberon !
— Même pas ! Demande à Cousseau un jour qu’il sera de bonne humeur, car c’est un souvenir qu’il n’aime pas se rappeler. Ils se sont fait prendre comme des rats dans l’anse de Carnac. Il n’y a pas eu un coup de feu tiré, sauf, après la capture, par quelques aristos qui voulaient jeter le commandant à la mer.
— Qui était-ce ?
— Un Bordelais, tiens : l’enseigne Leblond-Plassan. Il a refusé de se rendre aux émigrés et a résisté jusqu’à ce que le commandant de la flottille anglaise vienne personnellement recevoir son épée. C’est pendant les palabres que Cousseau a piqué une tête par-dessus bord et rejoint la côte à la nage.
— Et le reste de l’équipage ?
— Ils doivent être encore en train de moisir sur un ponton de Plymouth. C’est là que les Anglais gardent les matelots prisonniers. Leblond-Plassan, lui, a été échangé l’année dernière. D’après ce que je sais, il est maintenant enseigne-major de signaux sur la Volontaire, la frégate que tu as dû voir armer dans le port de Bordeaux.
— Il n’a pas repris son commandement ?
— Tu sais, quand un commandant de bord a perdu son
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