Marin de Gascogne
donc vouèr dans les vergues si j’y suis ! Et tâchez d’ouvrir l’œil ! C’est pas l’moment qu’un hand’putain d’Goddam vien’nous prend’au cul !
Verdier monta au grand mât et Hazembat au mât d’artimon. Vers quatre heures, la chaloupe avait regagné la Brillante et achevait de transborder sa cargaison. A bord du Mathurin-Mary, on avait démonté le palan et on se préparait à appareiller. C’est alors qu’Hazembat aperçut la voile émergeant à peine au-dessus de l’horizon.
— Une voile par tribord un quart derrière ! cria-t-il. Mais déjà les vigies de la Brillante avaient dû donner l’alerte. On entendait les sifflets des maîtres moduler le branle-bas. Tandis qu’on hissait et embossait la chaloupe, la frégate largua ses voiles et ouvrit ses sabords. Au porte-voix, le commandant cria à Le Guillou :
— Filez sud-est le long de la côte ! Je vais tâcher de l’amuser jusqu’à l’île d’Aix !
Sur le pont du lougre, Cousseau s’époumonait dans son sifflet.
— Je prends ton quart ! cria Hazembat à Verdier. Tu ne voudras pas perdre le spectacle !
Se laissant glisser le long d’un filin, il se trouva à la barre à l’instant où Le Guillou donnait l’ordre de faire route.
Tandis que les navires manœuvraient pour prendre leur cap, l’Anglais, qui avait l’avantage du vent, approchait rapidement, toutes voiles dehors. Il n’était plus qu’à quatre milles quand la Brillante et le Mathurin-Mary commencèrent à diverger, l’un vers l’est, l’autre vers le sud-est.
Le Guillou, qui observait la frégate, dit à Bottereaux :
— Il lui faudra prendre un bord pour revenir sur Aix. Ce sera juste, mais l’avantage du vent jouera moins en faveur des Goddem.
Quand l’Anglais vit les deux navires se séparer, il eut comme un instant d’hésitation. Le lougre était une proie plus facile, mais plus maigre. On sut qu’il se décidait pour la frégate quand ses voiles, de carrées, devinrent oblongues tandis qu’il virait pour se lancer à la poursuite de la Brillante.
La côte d’Oléron était à deux milles par tribord et Hazembat savait qu’il ne s’en rapprocherait que dans deux heures pour doubler la pointe des Saumonards qui, s’il se rappelait bien la carte que lui avait montrée Verdier, se trouvait juste à l’aplomb du fort Boyard, l’île d’Aix étant alors toute proche. Quand il sentit le navire bien en main, il risqua un coup d’œil par bâbord arrière. Les deux voiles étaient encore bien visibles à l’horizon, mais il était difficile de dire si l’une gagnait sur l’autre.
Pendant l’heure qui suivit, il concentra son attention sur sa tâche, balayant alternativement des yeux le compas et l’horizon par l’avant, attentif à obéir aux corrections de route que Bottereaux lui commandait d’une voix calme.
Il commençait à distinguer le fort Boyard par le bossoir au vent quand un roulement sourd, qu’il reconnut aussitôt, arriva lentement sur la crête des vagues. Il fut suivi presque aussitôt par un autre roulement.
— Bien joué ! cria la voix de Verdier du haut de la vergue.
L’instant d’après, il était à côté d’Hazembat.
— Il vaudrait mieux que je te relève. Entre la pointe des Saumonards et le fort Boyard, il y a un haut fond qu’il faut connaître.
Il lança un imperceptible coup d’œil à Bottereaux qui répondit par un imperceptible hochement de tête. Avant de prendre les manettes, il étouffa un rire.
— Tu aurais dû voir ça ! Quand les nôtres ont changé de cap, l’Anglais a été pris par surprise et il a lâché une bordée qui est allée se perdre en mer, mais la Brillante a répondu en virant et ça ne m’étonnerait pas qu’elle ait fait mouche ! Tant qu’il fait encore jour, tu devrais aller assister à la fin du spectacle !
Ce fut le tour d’Hazembat de remonter dans la vergue. Il était à peine installé qu’un grondement profond, beaucoup plus grave que les salves des navires, lui parvint de l’île d’Aix, maintenant en pleine vue par bâbord. Les artilleurs du fort Liédot, sur la côte nord de l’île, devaient engager l’Anglais. Un quart d’heure plus tard, dans la lumière déclinante, il vit des voiles, qui devaient être celles de la Brillante, paraître au bout de la pointe est, virer sec et entrer dans la petite rade. Très loin, au nord-ouest, se détachant sur l’horizon du
Weitere Kostenlose Bücher