Marin de Gascogne
est là. La côte est très basse : du sable et quelques buissons, mais il y a une tour de balise. C’est elle que je vois. Elle marque la pointe nord de l’île. La Brillante doit être par là, mais il y en a pour un bon bout de temps avant que nous virions nord-ouest en direction du rocher d’Antioche. Tu devrais aller te reposer.
L’entrepont sentait encore la vomissure. Coincé au fond de son hamac, il eut du mal à trouver le sommeil. Il dut dormir pourtant, car il fut éveillé à la fois par les piétinements sur le pont supérieur et par le brusque changement de gîte. D’un mouvement familier et souple, il se balança hors du hamac et monta à la timonerie.
Le temps était toujours aussi maussade. Hazembat jeta un coup d’œil au sablier. Il lui restait encore deux heures avant de prendre son quart. Télescope à l’œil, Le Guillou scrutait l’horizon par tribord. A cheval sur la vergue du grand mât, Cousseau, la main en visière, en faisait autant.
— Nous avons laissé le rocher d’Antioche par tribord, dit Verdier, et nous venons de changer d’amures pour aller plein est. La Brillante ne devrait pas tarder à se montrer.
A ce moment, la voix du Cousseau tomba des hauteurs :
— Un’vouèl’sous l’bossouèr au vent !
Le Guillou dirigea son télescope dans la direction indiquée. Au bout d’un moment, il l’abaissa et le tendit à Bottereaux.
— Les voiles sont trop blanches pour être anglaises. Faites hisser les pavillons de reconnaissance et prévenez-moi dès que nous serons à portée de voix.
Une heure plus tard, Hazembat et Verdier, accoudés au pavois, regardaient approcher la chaloupe envoyée par la frégate. A bord du lougre, on avait gréé un palan et déjà sacs et tonneaux s’entassaient sur le pont, prêts à être transbordés.
Quand la chaloupe accosta, rames levées en un seul mouvement, Verdier se tourna vers Hazembat.
— Ce sont de vrais marins, ceux-là, pas de foutus commissionnaires !
— Tu sais, ce ne doit pas être très passionnant de tirer des bords à l’entrée du pertuis, semaine après semaine.
— Peut-être, mais une frégate a toujours au moins une chance de se battre !
Le Guillou arrivait, son porte-voix sous le bras. Il s’approcha du bastingage.
— Ohé de la Brillante !
Un gros homme en bicorne doré leva son porte-voix sur le gaillard de la frégate.
— Ohé, du lougre ! Mathurin-Mary, c’est bien votre nom ?
— Oui, commandant ! Enseigne Le Guillou !
— Lieutenant de vaisseau Bardet !
Les deux officiers soulevèrent simultanément leurs bicornes.
— Heureux de revoir ce lougre sous couleurs françaises, reprit le commandant de la frégate, surtout si ce que vous nous apportez est, pour une fois, mangeable !
— Je n’ai pas eu le temps d’y goûter, commandant !
— Tant mieux pour vous ! Vous l’auriez probablement regretté ! Je vous envoie mes rapports de mer par la chaloupe ! Combien de temps vous faut-il pour transborder ?
— Un peu moins d’une heure, je pense, commandant.
— Vous pourrez rentrer directement à Rochefort par le Pertuis d’Antioche. Il n’y a pas un Anglais dans le secteur, aujourd’hui.
— Enfin, on n’en a pas rencontré aujourd’hui, quoi ! commenta un des matelots de la chaloupe qui soulageait un tonneau élingué sur le croc du palan.
Verdier se pencha vers lui, avide.
— Tu crois qu’il y en a ?
— Oui-da ! Leur escadre côtière croise juste derrière l’horizon. On ne sait jamais quand leurs frégates vont montrer leur nez !
— C’est déjà arrivé ?
— Pas plus tard que la semaine dernière. Ils se sont mis à deux, un sloop et une frégate, pour approcher à l’abri d’un grain et nous avons tout juste eu le temps d’aller nous réfugier sous les canons du fort Boyard.
— Ils vous ont tiré dessus ?
— Ils ont essayé par ricochet à un mille, mais ce n’était pas très méchant. Les artilleurs de Boyard ont eu vite fait de les encadrer et de les mettre en fuite !
Les yeux brillants, Verdier aurait voulu en savoir davantage, mais Cousseau les avait repérés et intervenait à pleine gueule :
— Hand’putain d’merde ! Qu’è qu’vous chiez à blaguer com’nonnains d’couvent ? C’est com’ça qu’on s’fait choper ! Les timoniers, s’avez point ren d’mieux à bistouiller, allez
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