Marin de Gascogne
Bonaparte s’apprêtait à frapper un grand coup contre l’Angleterre.
Promu au rang d’escorteur, le lougre réussit à infliger quelques dommages à une frégate anglaise qui s’efforçait de rabattre le navire vers l 'escadre de surveillance. Il s’en tira avec un tué, cinq blessés et une large échancrure dans le bordage, Verdier en conçut une fierté immodérée .
Il fallut passer encore quelque temps à Lorient pour réparer les dommages. Le port étant sévèrement gardé, pour la première fois depuis deux mois l’équipage fut autorisé à se rendre à terre. Il y avait des cabarets et des filles. On fêta triomphalement ce qui, dans la bouche de Verdier, était devenu une grande victoire navale.
Agacé, Hazembat sentait remonter sa mauvaise humeur. Fille sur fille n’arrivaient pas à le calmer. Il buvait aussi, la mine renfrognée. Le troisième jour, alors qu’ils étaient tous passablement ivres, Verdier monta sur la table pour porter un toast aux indomptables héros de la terreur des mers, le Mathurin-Mary. Hazembat ne leva pas la tête.
— Ho, matelot ! cria Verdier, tu ne trinques pas aux héros ? Tu fais le modeste ? Ou bien peut-être tu trouves que nous ne sommes pas assez héros pour toi ? Le grand navigateur nous méprise ? Il a connu des actes de vaillance qui surpassaient les nôtres ?
Comme en un éclair, Hazembat revit passer devant ses yeux le visage du capitaine Lesbats, la mèche à la main, au moment où il allait se faire sauter avec ce qui restait des équipages de la Belle de Lormont et du navire de ligne anglais.
— Ta gueule ! grommela-t-il. J’ai vu ce que j’ai vu et, pour le moment, je vois un foutu saoulard qui braie comme un âne !
Mais Verdier ne le tenait pas pour quitte.
— Alors, c’est ta fiancée qui te tient au cœur et qui te rend morose ? Il faudrait qu’elle le voie maintenant, son beau matelot, entouré de putains et d’ivrognes ! Ça lui foutrait le feu au cul pour gambiller avec tous les petits bouseux de Langon !
D’un bond, Hazembat fut sur lui, le faucha aux jambes, culbutant verres et cruches, et se mit à cogner.
— Hilhdeputa de cagot de mèrda ! Soudât de cagueira ! You bloody bugger ! Cabrôn de tu madré ! Aquô que’m vas pagar !
Emporté par la fureur, il jurait dans toutes les langues qu’il connaissait, martelant à l’aveugle le corps et le visage de Verdier de ses poings massifs et durs comme du bois. Il fallut quatre soldats pour le maîtriser.
Quand il se retrouva aux fers dans la minuscule fosse aux câbles du Mathurin-Mary, il ne se souvenait de rien. Tête sonnante et bouche pâteuse, il lui fallut un moment pour s’apercevoir dans la pénombre que Verdier était enchaîné à côté de lui.
Il le devina qui tournait son visage vers lui.
— Hazembat, tu es réveillé ?… Merdebleu, tu m’as drôlement abîmé ! Mais ce n’était pas ta faute. J’étais saoul comme une bourrique… Tu ne m’en veux pas ?
— C’est toi qui pourrais m’en vouloir, parce que m’est avis que je t’ai mis dans le pétrin. Le commandant ne fera pas le détail. On est bon tous les deux.
— On va nous pendre ?
Hazembat rit sans joie.
— Non, innocent, la République a trop besoin d’hommes, mais deux douzaines de coups de garcette pour moi et une pour toi, c’est comme ça que je vois les choses.
— Ça fait mal ?
— Assez. Mais jusqu’ici je n’ai écopé que d’une demi-douzaine et encore le maître n’y mettait pas le cœur. Mais, avec c’te merd’d’Cousseau, ça s’ra aut’chos ’, hand’putain !
— On va vouer c’qu’on va vouer, mes gaillards ! Un moment, ils s’amusèrent à imiter le maître d’équipage, mais le jeu les lassa vite. Un silence inquiet tomba sur l’obscur réduit.
En fin de compte, Le Guillou se montra plus clément qu’ils ne craignaient.
— Je n’ai jamais été partisan des châtiments corporels, dit-il, mais surtout je ne peux pas me permettre d’endommager mes deux timoniers à la fois. Ce sera un mois sans tafia ni vin pour Verdier et le double pour Hazembat. Vos soldes seront retenues pendant le même temps, ce qui ne changera pas grand-chose, vu l’empressement que le trésorier de la marine met à nous payer. Quant à toi, Hazembat, je comptais te proposer pour la lère classe à la fin de l’année. Tu pourras en faire ton deuil jusqu’à ce que
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