Marin de Gascogne
négrillons ? L’idée lui faisait mal, mais moins mal que de songer à Pouriquète.
Il fallait bien qu’il se l’avoue : il était jaloux de Jantet. Ils avaient grandi tous deux avec Pouriquète et, coquette, elle ne se privait pas de faire les yeux doux à l’un comme à l’autre. Jantet était joli garçon et avait des manières, alors qu’Hazembat, avec sa hure taillée à la serpe, plaisait aux filles, mais les effrayait un peu. Pouriquète lui avait confié avoir accordé un baiser à Jantet lorsqu’il était parti. Bien sûr, c’était à lui, Hazembat, qu’elle avait donné une boucle de ses cheveux, c’était avec lui qu’elle avait passé sa dernière nuit à terre. Il y avait à peine un mois de cela et il sentait encore sur sa poitrine, son ventre, ses cuisses, la tendre chaleur du corps menu de Pouriquète.
Il ferma les yeux, saisi d’angoisse. Une boucle, une nuit pour des mois, peut-être des années. On ne revenait pas facilement de la guerre, encore moins de la guerre sur mer. Et si Jantet revenait le premier ? Et s’il était le seul à revenir ?
Quand le canot du vaguemestre passa, distribuant un courrier fort rare, car presque personne, à bord, ne savait lire, Hazembat lui confia une lettre pour Pouriquète. Il lui avait fallu emprunter du papier et de l’encre au lieutenant Bottereaux.
— Tu sais écrire ? demanda l’officier en levant les sourcils.
— Pas très bien, lieutenant, mais j’ai appris mes lettres avec l’abbé Lafargue, à Langon.
— Il faut bien que les prêtres servent à quelque chose.
Pouriquète ne savait pas lire, mais elle pourrait demander à son père ou, mieux encore, à Cametorte, le frère infirme de Jantet, qui tenait les écritures des Rapins à la Maison du Port.
Citoyenne M arie Dubernet dite Pouriquète Rue Sent Gervè Lango n.
Ma Fiancee adore Cete letre pour te dire que je sui en bone santé et que je pense a toi tendremens. Nou some thous bien a bord et lutons Couragesemens contre l’Anglois pour la République. J’espère que tu es de même, mon Aimée, et thous le monde a Langon a qui je pense toutjour et a toi sustout en te baisans les mains avec Tendresse.
Ton mathelot eternelemens fidèle Bernard Azembat
Au dernier moment, il ajouta un H au début de son nom. Dans la marine, on l’oubliait toujours. Puis il considéra son gribouillis sans complaisance. Il aurait voulu recommencer, mais il n’avait plus de papier et le canot du vaguemestre s’apprêtait à déborder.
La lettre s’en fut avec la marée montante et, après huit jours au mouillage, le Mathurin-Mary repartit vers son destin. Plus heureux qu’Hazembat, Verdier put agiter son mouchoir vers une mince silhouette sur le quai de Blaye.
— La Lisou et moi, dit-il, nous devons nous marier l’année prochaine.
— Si tu es là.
— Si je n’y suis pas, elle ne sera pas en peine pour se dénicher un autre mari. Depuis quatre ans que je l’ai quittée, c’est bien le diable si elle ne s’est pas trouvé une demi-douzaine de galants !
Hazembat fut choqué d’entendre Verdier parler si légèrement de sa fiancée.
— Elle n’est pas fidèle ?
— Bougre, si ! Autrement, elle n’aurait pas été là sur le quai pour guetter le passage du navire. Mais, tu sais ce que c’est, dans la vie que nous menons, le cœur et la bagatelle, ça ne va pas forcément de pair. Je me suis laissé dire qu’on t’avait surnommé Chaud-du-rein. Ça ne t’est sûrement pas venu en soupirant après ta bonne amie au lieu de culbuter les filles dans les ports.
Confus, Hazembat dut s’avouer que Verdier n’avait pas tort, mais il n’avait jamais songé que la licence qu’il s’était assez généreusement accordée pût s’appliquer à Pouriquète. Quand elle avait fait l’amour avec lui, était-ce bien la première fois ? Il fut de mauvaise humeur durant tout le trajet le long de l’estuaire et ne retrouva la sérénité que lorsque la grande houle de la mer libre s’empara de nouveau du lougre.
Pendant plusieurs semaines, le Mathurin-Mary s’acquitta de son service le long des côtes, remontant jusqu’en Bretagne. Il essuya une forte tempête d’équi-noxe entre Groix et Lorient et, au début de Floréal, participa même à un bref engagement quand un navire de ligne français s’échappa du port de Brest pour mettre cap au sud. On disait qu’il se rendait en Méditerranée où
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