Marin de Gascogne

métier de membre du comité de surveillance et pourchasser les malheureux qui auront oublié quelque flor de liri sur un bijou de famille. Toi aussi, tu auras peut-être à faire des choses dont tu ne seras pas fier, mais, quoi qu’il arrive, souviens-toi toujours que tu es un marin de la République.  
    Tandis qu’ils poursuivaient leur chemin, Pouriquète était songeuse.  
    — Tu feras des choses dont tu ne seras pas fier, Hazembat ?  
    — Oh, j’en ai déjà fait. La vie est comme ça. L’important, c’est que je ne trahisse pas la République.  
    — Et moi, tu me trahiras ?  
    Ils étaient arrivés à l’entrée du quartier des Carmes. Bernard entraîna Pouriquète dans l’encoignure d’une porte et la prit par les épaules.  
    — Non, Pouriquète, toi non plus, jamais je ne te trahirai.  
    — Foi de marin ?  
    — Foi de marin.  
    Elle leva la tête vers lui, dressée sur la pointe des pieds. Leurs bouches se touchèrent doucement et en eux monta avec lenteur la chaleur des lèvres offertes comme un bouquet de tendresse qui n’en finissait pas de s’épanouir.  
    Hazembate et Pouriquète aidèrent Bernard à préparer son fardage. Ce fut vite fait : deux chemises de rechange, un pantalon neuf, une ceinture de flanelle, un tricot de laine, un peu de linge de dessous, trois paires de chaussettes, les bottes et le caban du grand-père. Au dernier moment, Bernard ajouta le bonnet rouge. Il restait peu de place dans le sac de toile pour les ca deaux et les gâteries. Perrot lui donna une boussole, Guitoun, une montre qui avait appartenu à son père, Lanusquet, un briquet qu’il avait fabriqué lui-même et Hazembat, un couteau de poche.  
    — C’est de la bonne lame. Si tu sais l’aiguiser, tu pourras te raser avec.  
    Les cadeaux des femmes étaient plus périssables. Tante Rapinette avait ficelé un gros morceau de ventrêche dans un bout de torchon.  
    — Même ranci, il peut te tenir jusque de l’autre côté de l’Océan.  
    Sa mère avait fait cuire au four de gros biscuits secs qui se conserveraient jusqu’à ce que les vers s’y mettent. Janote avait ajouté un pot de confiture. Seule, Pouriquète n’avait rien apporté à manger. Elle tendit une cocarde à Bernard.  
    — C’est celle que je portais lors de la fête aux Allées Maubec. Comme ça, en la voyant, tu penseras à la fois à moi et à la République.  
    La Gigasse appareilla juste avant le jour, à la pointe de courant. Pouriquète était descendue avec Capsus et la dernière vision que Bernard emporta de Langon à travers les rafales de pluie fine fut sa petite silhouette claire à côté de la haute silhouette sombre de sa mère sur le quai où déjà pâlissait maussadement la nuit.  
    A l’auberge de Tastet, Bernard trouva Roumégous attablé avec une dizaine de marins.  
    — Te voilà, matelot ? Va voir l’écrivain pour te faire inscrire sur le rôle d’équipage. C’est le gros sac de merde qui est assis à la table, là-bas. Il s’appelle Bernard Mondin.  
    — Bien, citoyen.  
    — Appelle-moi maître. Je suis le maître d’équipage de la Belle de Lormont. Il n’y a plus de citoyen Roumégous, ni de patron Roumégous : il y a le maître Roumégous. Tiens-te-le pour dit !  
    — Bien, maître.  
    — Quand tu en auras fini avec les écritures, reviens ici prendre tes ordres.  
    — Bien, maître.  
    Mondin portait des lunettes d’acier et avait un visage avenant. Malgré son léger embonpoint, il paraissait relativement jeune. D’une écriture aisée, il nota les renseignements que lui donna Bernard.  
    — J’ai entendu parler de toi par Jean Lafargue.  
    — Vous le connaissez ?  
    — Je faisais mes études de médecine quand il faisait ses études de droit. Il est allé loin. S’il arrive à garder sa tête sur ses épaules, il peut aller plus loin encore. Moi, je n’ai pas eu le courage. J’ai préféré accepter cet embarquement, moitié chirurgien, moitié écrivain.  
    — Hazembat ! rugit Roumégous, c’est fini, ces parlotes ?  
    — Oui, maître, à vos ordres.  
    — Assieds-toi. Regarde : l’homme qui est au bout de la table, c’est Le Coadic, maître timonier. C’est lui ton chef.  
    Le Coadic était un grand bonhomme maigre à la tête carrée et grisonnante. Ses yeux couleur d’ardoise scrutèrent silencieusement Bernard sous la barre des sourcils touffus.  
    — Et celui-ci, continua Roumégous, montrant un