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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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Deux étaient des négresses et la troisième était une mulâtresse. Mieux vêtue que les autres d’une cotonnade imprimée verte et orange, elle portait noué sur la tête un foulard qui dégageait son visage au galbe plein et au teint doré comme du miel. Sur l’épaisse boucle noire qui s’échappait sur sa tempe, elle avait piqué une fleur blanche à la corolle en étoile.  
    Quand elle passa devant Bernard, elle leva vers lui de grands yeux sombres et lui tendit un ananas.  
    — Pour toi, beau garçon ! Je te le donne.  
    — Mais c’est la fille de mon compè’e Lafo’tune ! T’as g’andi, Belle, depuis que je ne t’ai pas vue !  
    Céleste Laprune s’était frayé un chemin jusqu’à la rambarde entre Lacaste et Bernard.  
    — Bonjour, Céleste ! répondit la fille. Je vais sur mes quinze ans ! Tu viendras à l’auberge ?  
    — Dès qu’on nous pe’mett’a de déba’quer, Belle ! Dis à papa Lafo’tune de mett’e de côté son meilleu’cœu’de chauffe !  
    C’est seulement le lendemain que l’équipage fut autorisé à se rendre à terre par bordées : les bâbordais le matin, les tribordais le soir. Le jour suivant, ce serait l’inverse. Une calèche vint chercher O’Quin dès le matin.  
    — Je vais à Basse-Terre voir un de nos associés qui a eu jusqu’ici la chance de garder sa tête sur les épaules, dit-il à Bernard lorsqu’il passa devant lui. Il a jugé plus sain de regagner la plantation familiale en 91, mais il a longtemps vécu à La Réole. Si tu veux venir, je t’emmène. Tu pourras parler du pays.  
    Mais Bernard avait déjà accepté l’invitation de Céleste Laprune à aller boire le cœur de chauffe du papa Lafortune et l’idée de revoir Belle était plus alléchante que celle de rencontrer un négociant bordelais.  
    Quand il fit son premier pas sur le quai, il faillit tomber, pris d’un soudain vertige. Depuis soixante-trois jours, il n’avait pas posé le pied sur la terre ferme et il sembla à ses jambes accoutumées aux mouvements du navire que le sol tanguait et roulait horriblement. C’est encore étourdi qu’il arriva à l’auberge sous les arcades jonchée de corps d’ébène étendus parmi les paniers de fruits et de légumes en une sieste générale. Il faisait relativement plus frais dans la salle, sous le toit de palmes.  
    Laprune, qui avait débarqué dès le matin avec les rescapés de la Martinique, était en train de boire avec un mulâtre d’une quarantaine d’années à la peau remarquablement claire.  
    — Papa Lafo’tune, s’écria-t-il, je te p’ésente mes copains de la Belle de Lo’mont qui nous ont sauvé la vie !  
    On serra des mains à la ronde et l’on se mit à boire. Un peu déçu de ne pas voir Belle dans la salle, Bernard lampa d’un trait son premier gobelet de rhum. En un jaillissement soudain, les saveurs s’épanouirent en bouquet dans sa tête, vertes et vibrantes. Pour le coup, la table lui parut tanguer et rouler comme une plate-forme de hune par gros temps. Le deuxième verre le laissa singulièrement dispos et euphorique. L’arrivée d’Esca-not, qui venait de terminer son tour de service à bord du Lutin, lui évita de boire immédiatement le troisième.  
    C’est bien plus tard que Belle se montra, vêtue cette fois d’un madras mauve et brun. La salle commençait à s’emplir de soldats et de marins tandis que, sous les arcades, reprenait la vie du marché. Bernard avait perdu le compte des verres et il vit Belle venir vers lui comme à travers une brume de chaleur qui engourdissait ses membres. Elle versait à boire de table en table mais, quand elle arriva devant Bernard, elle fit non de la tête et s’en fut en courant pour revenir l’instant d’après avec une noix de coco décapitée d’un coup de machette.  
    — Bois !  
    Ce qui lui parut agréable, ce fut moins la saveur un peu douceâtre que l’apaisante fraîcheur du liquide, lait maternel tout à la fois et eau vivante. Son esprit s’éclaircit et il esquissa un sourire. Belle lui sourit en retour, dents blanches et yeux d’un noir profond.  
    — Merci, Belle… C’est ton nom, n’est-ce pas ?  
    — Oui, je m’appelle comme ton navire… Qu’est-ce que c’est, Lormont ?  
    — Un village près de Bordeaux.  
    — C’est ton village ?  
    — Non, je suis de Langon, plus haut sur la Garonne.  
    — Il n’y a pas de noix de coco, là-bas ?  
    — C’est la

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