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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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un feutre empanaché passablement incongru dans le décor.  
    — Enseigne de vaisseau Lemercier, commandant le sloop Lutin. Soyez le bienvenu, citoyen capitaine. Je vous présente le commissaire Cournod, adjoint au commandant du port.  
    Cournod, l’air rogue, salua brièvement du panache.  
    — Voulez-vous venir dans ma cabine, capitaine ? Vous avez certainement beaucoup de nouvelles à nous apprendre !  
    — Et réciproquement, je suppose, commandant.  
    Il ne fallut pas bien longtemps à Roumégous pour découvrir dans l’équipage du Lutin un de ses anciens camarades, engagé en 1792 dans la marine. C’était un Bordeluche aux joues creuses et à la grosse moustache, qui répondait au surnom d’Escanot. Il ne se fit pas prier pour se laisser tirer les vers du nez.  
    Le Lutin était arrivé à Pointe-à-Pitre le 5 janvier 1793, escortant le Félicité qui amenait le capitaine de vaisseau Lacrosse, commissaire de la Convention. L’accueil des planteurs avait été hostile et il avait fallu attendre un mois à la Dominique, puis à Sainte-Lucie, avant que la résistance des royalistes fût brisée. Dès la déclaration de guerre à l’Angleterre, Lacrosse était reparti, laissant les pouvoirs au gouverneur général Collot.  
    — Ce putain de Collot, expliquait Escanot, c’est pas que ce soit pas un bon républicain, mais il a des chiées d’emmerdements. Il faudrait avoir des berles comme ça pour se démouniquer entre les Montagnards du comité représentatif révolutionnaire qui ne pensent qu’à guillotiner ou à fusiller et les gros planteurs qui attendent les Goddem comme le ci-devant Saint-Esprit !  
    — Les Goddem sont déjà à la Martinique avec leur flotte, dit Roumégous.  
    — Et ils ne tarderont pas à venir ici ! Il ne nous restera qu’à nous filocher avec leurs beauprés dans le cul !  
    — Collot n’a pas l’intention de se défendre ?  
    — Et avec quoi, putain de moine ? Il n’a pas de navires. Quant aux hommes, entre les traîtres et les branques, il n’a même pas de quoi lever une compagnie ! Il en a été réduit à armer un bataillon de cinq cents esclaves !  
    — Ce ne sont plus des esclaves. La Convention les a libérés.  
    — C’est peut-être pas ce qu’elle a fait de mieux, la Convention ! Ils sont plus de trente-cinq mille, les ci-devant esclaves, contre quelques centaines de Blancs et quelques milliers de nègres libres et de mulâtres. Si le goût de la castagne les prend, on risque d’en pisser le sang !  
    En fin de matinée, la Belle de Lormont alla mouiller au fond du Petit Cul de Sac, face au port de Pointe-à-Pitre. A première vue, c’était un port comme les autres, avec cette différence que les hommes qui traînassaient sur les cales en pente étaient noirs et pratiquement nus. Il y avait l’habituel alignement d’entrepôts, les tas indistincts de marchandises en vrac et de matériels hétéroclites. Il fallait regarder plus loin pour découvrir des spectacles inhabituels : les barques de pêche encarrassées les unes dans les autres, mêlant leurs voiles multicolores, l’épaisse végétation qui s’avançait jusqu’à toucher l’eau, dominée par des silhouettes grêles de cocotiers, les constructions blanches, avec leurs arcades grouillantes, entourant l’esplanade au bout de laquelle se dressait une église monumentale, mais assez laide, et puis, en retrait, sur les hauteurs boisées, les murs chaulés de maisons de maîtres altières. A gauche de l’église, le drapeau tricolore flottait sur un grand bâtiment bas devant lequel s’affairaient des militaires.  
    V ainement, Bernard cherchait des yeux les canots chargés de belles filles dont lui avait parlé Guitoun. Cela devait dater du temps où le commerce était plus actif. Pour le moment, la Belle de Lormont était le seul navire marchand de quelque importance ancré dans la baie de Pointe-à-Pitre. Au début de l’après-midi, un canot survint, amenant à bord un mulâtre ventru et lippu qui se présenta comme le correspondant des armateurs et alla s’enfermer avec O’Quin.  
    Ce n’est que beaucoup plus tard, quand la chaleur commença à tomber avec la brise de mer, qu’une embarcation vint accoster le navire, pleine de fruits tropicaux étranges dont Lacaste disait les noms à Bernard : ananas, bananes, papayes, tronçons de canne à sucre, noix de coco. Trois filles les offraient à vendre aux matelots penchés par-dessus bord.

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