Marin de Gascogne
— Attrape-moi ! cria Belle en courant vers la mer. Bernard la poursuivit à travers les brisants légers et transparents, trouvant un plaisir singulier à sentir sur lui ses vêtements trempés d’eau salée. Il en avait pourtant l’habitude, mais ce qui était en mer misère quotidienne devenait ici un jeu exaltant. Il fit quelques brasses maladroites de nageur d’eau douce, tandis que Belle tournait autour de lui en riant, d’une nage coulée et rapide. Elle reprit pied, sa robe jaune et verte collée à la peau, et courut s’étendre sur le sable brûlant. Bernard la rejoignit et s’étendit tout contre elle. Du doigt, elle lui caressa doucement le dos de la main.
— Dommage que tu repartes bientôt, dit-elle.
— Pourquoi bientôt ? On n’a même pas commencé à décharger !
— J’entends parler à l’auberge. Les Anglais ne tarderont pas à venir et ton armateur est trop malin pour leur abandonner son navire et sa cargaison comme prise de guerre ! Mais tu auras du mal à rejoindre ta bonne amie : il y a trop d’Anglais entre elle et toi !
— Nous sommes déjà passés une fois !
— Je ne pense pas que ton capitaine ait dans l’idée de retourner en France.
— Que veux-tu dire ?
— Qu’un navire marchand a toutes les chances de se faire prendre, mais qu’un corsaire peut trouver de bonnes occasions.
— Un corsaire !
— Oui, nigaud. Ton capitaine Lesbats a demandé des lettres de course à Collot.
Ahuri, il la regardait sans comprendre. Elle lui planta soudain un baiser sur la bouche.
— Reste !
— Que je reste ici ?
— Oui. Quand les Anglais viendront, tu n’auras pas beaucoup de mal à passer inaperçu et, s’il faut, nous te cacherons. Ça vaut mieux que d’être canonné, pendu ou noyé, non ?
Il s’était redressé sur le coude et faisait couler du sable entre ses doigts.
— Il faut que je réfléchisse.
Le soir même, voyant que O’Quin était à bord, il lui demanda audience. Le négociant le reçut avec cordialité.
— J’allais justement te faire venir, Hazembat. Tu as une idée de la situation ?
— Il paraît que les Anglais vont arriver.
— Oui. J’ai traité avec Lesbats. Il va armer la Belle de Lormont en course. Barre et lui connaissent assez de refuges de pirates pour opérer sans mal dans les îles. Collot est d’accord pour leur fournir tout l’armement dont ils ont besoin. Une partie de la cargaison est déjà vendue ici… payable à Londres, naturellement… Je te scandalise ?
— Ce sont les affaires. Moi, je n’ai pas d’argent.
— Tu peux en gagner. Le reste de la cargaison sera transféré sur l’ Abigail qui va rallier Baltimore. Je m’embarquerai à son bord avec les membres les plus encombrants de l’équipage. Veux-tu me suivre ? L’Amérique est pleine de possibilités pour un garçon courageux comme toi.
— Je veux suivre Lesbats et me battre contre les Anglais.
O’Quin fit non de la tête.
— C’est la seule chose que je ne puis permettre, Hazembat. Vois-tu, j’ai une responsabilité envers ton père. Il t’a confié à moi. C’est avec moi que tu as un contrat. Tu n’as que deux possibilités : ou rester ici, ou m’accompagner. A Baltimore, tu trouveras des occasions de regagner la France et d’aller te mêler à la bataille si tu y tiens : les Anglais respectent encore les pavillons neutres et ils les respecteront tant qu’on n’en abusera pas, comme nous l’avons fait l’autre jour. D’autre part, ici, tu seras en sécurité : même si les Anglais l’occupent, c’est une terre française… et je crois savoir que tu t’y es fait des amis.
Tête baissée, Bernard réfléchissait.
— Quand les Anglais seront ici, ils rétabliront l’esclavage ?
— C’est très probable et certains des planteurs reviendront. Tu trouveras à t’occuper chez les ci-devant.
— Je suis républicain, dit Bernard en touchant sa cocarde. Je préfère aller avec vous aux Etats-Unis.
— Il y a aussi des esclaves.
— Ce sont des esclaves américains, pas des esclaves français.
Le déchargement et le transbordement prirent trois jours. L ’Abigail emportait du vin et du matériel agricole. La Belle de Lormont appareilla le 1 er avril dans la soirée. De son état-major, seuls restaient Lesbats, Barre, Biot, Roumégous et Le Coadic. Simples passagers, Béthencourt et
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