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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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se sentait tout à fait gaillard sur ses jambes quand O’Quin, vêtu d’une élégante redingote puce, l’escorta jusqu’à la calèche envoyée par Prunes Duvivier. Au passage, il eut un aperçu de Baltimore qui ne ressemblait à aucune ville qu’il eût vue jusque-là. Larges et propres, les rues se coupaient à angle droit, bordées de maisons à trois ou quatre étages dont beaucoup était entourées de vérandas à colonnades. Il y avait beaucoup de monde sur le port : des messieurs cossus, portant de curieux chapeaux en tronc de cône, ornés de larges boucles, des dames vêtues de robes de taffetas aux couleurs pâles, des marins en chemises à carreaux, d’étranges personnages en toque de fourrure et veste de cuir, des soldats en tuniques bleues et surtout une foule de nègres, hommes et femmes, habillés de cotonnades et coiffés de chapeaux de paille. Comme dans tous les ports, on voyait des traîne-guenilles sur les quais, mais ils avaient l’air moins écrasés qu’ailleurs par leur misère, comme si l’activité générale leur donnait un semblant de prospérité.  
    — Tous ces nègres, ce sont des esclaves ? demanda Bernard.  
    — Presque tous.  
    — Ils n’ont pas l’air tellement malheureux.  
    — Pourquoi voudrais-tu qu’ils le soient ? La plupart sont nés ici. Il y a longtemps qu’on n’importe plus d’esclaves au Maryland. Et puis ceux-ci vivent en ville. Dans les plantations, c’est autre chose.  
    Une grande femme mince et blonde les attendait dans la calèche, accompagnée d’une toute jeune négresse aux joues rondes, vêtue d’une robe froufroutante rose bonbon.  
    — C’est Suzanne Thilonier, dit O’Quin tandis qu’ils approchaient, la belle-sœur de Prunes Duvivier. Depuis qu’il est veuf, c’est elle qui tient la maison. File était la maîtresse d’un fermier général qui a été guillotiné en 92. Maintenant, on dit qu’elle donne dans la dévotion.  
    Suzanne Thilonier abaissa sur Bernard un regard gris pâle que le cerne de ses yeux faisait paraître sévère tout en rehaussant sa luminosité.  
    — Soyez tranquille, Claude, nous prendrons grand soin de votre protégé, dit-elle à O’Quin tandis que la petite négresse aidait Bernard à prendre place sur la banquette.  
    La demeure de Prunes Duvivier était une grande bâtisse blanche située dans un parc de bonne taille à une demi-lieue du port. Mlle Thilonier conduisit Bernard dans les communs jusqu’à une pièce nue dont le mobilier consistait en un lit, un coffre de pitchpin, une chaise et un crucifix accroché au mur.  
    — C’est ta chambre, mon garçon, dit-elle. Tu y trouveras tout ce qu’il faut pour dormir et pour prier. Mon beau-frère va te recevoir mais, auparavant, tu vas prendre un bain et changer de vêtements.  
    Elle frappa dans ses mains et quatre négresses entrèrent, portant un baquet d’eau fumante, tandis qu’une autre disposait sur le lit une chemise, un pantalon et un gilet de coutil rayé.  
    — C’est un costume de mon neveu Gilles qui est parti pour Boston l’an dernier, dit-elle en retroussant ses manches. Je crois que cela t’ira. Maintenant, déshabille-toi, que je te lave.  
    Bernard porta la main à sa souquenille, puis hésita, conscient de la présence des négresses qui, jeunes ou vieilles, le regardaient avec de larges sourires. S’apercevant de sa gêne, Mlle Thilonier fit un geste et les esclaves s’esquivèrent en jacassant.  
    — Vas-y maintenant ! Nous sommes seuls.  
    Il hésitait encore. La petite négresse rose bonbon roulait vers lui de grands yeux rieurs.  
    — C’est Flora qui te fait peur ? Ce n’est qu’une esclave et je l’ai moi-même instruite du péché. Elle sait très bien ce qu’il faut voir et ce qu’il ne faut pas voir. Allons ! ôte vite ces hardes ! Une âme sans péché ne saurait vivre dans un corps crasseux et s’il y a du péché en toi, je me charge de l’en faire sortir !  
    Maladroitement et tournant le dos aux deux femmes, Bernard se mit nu, l’ échiné courbée et les mains croisées devant les cuisses.  
    — Eh bien ? Retourne-toi et entre dans ce baquet ! Il obéit, rouge de confusion.  
    — Qu’est-ce que cette horreur ?  
    Mlle Thilonier montrait du doigt la cocarde qu’il avait gardée en pendentif sur la poitrine.  
    — Enlève-moi cela tout de suite !  
    Comme elle faisait mine d’arracher le lacet, Bernard leva les mains pour protéger sa

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