Marin de Gascogne
Ducasse s’embarquaient sur l’ Abigail. Après une négociation avec le capitaine Mac Nabb, commandant de l’ Abigail, Pellé de Bridoire et Lacaste furent embauchés pour remplacer respectivement le maître de manœuvre et le second timonier, tous deux frappés par les fièvres au cours de l’escale. Ils espéraient l’un et l’autre regagner la France au plus tôt pour prendre du service dans la marine de guerre.
O’Quin, logé dans une petite cabane du quartier des officiers, souhaitait prendre Bernard à son service personnel, mais ce dernier préféra remplir les fonctions de gabier de grande hune avec Sven, sous les ordres de Sam Billings avec qui il avait noué une solide amitié.
L ’Abigail appareilla le 4 avril. On venait d’apprendre le débarquement des Anglais aux Saintes. C’était le seizième anniversaire de Bernard. Papa Lafortune organisa une petite fête. Belle était assise entre Bernard et Céleste Laprune.
— Si tout va bien pour toi, dit-elle, dans quelques semaines ou quelques mois, tu vas retrouver ta petite poulette, mais j’aimerais bien que tu reviennes ici avant que je sois devenue une grosse poule pondeuse.
— Y en a beaucoup qui se cha’ge’aient de la fai’e pond’e, s’écria Céleste, et moi tout le p’emier si elle voulait !
Elle l’accompagna jusqu’au canot.
— Tu n’as plus ta fleur de vanille dans les cheveux, dit-il.
— Je te l’ai donnée. On ne la donne qu’une fois.
CHAPITRE VI :
LES EAUX PROFONDES
Très vite, Bernard se passionna pour son nouveau travail à bord de l’ Abigail. Il prenait plaisir à exercer ses muscles dans le gréement. Le temps était beau. Sven et lui n’avaient plus besoin des marchepieds pour évoluer dans les hunes. En matelots aguerris, ils couraient sur les vergues, bras balancés, comme des funambules.
La nourriture était meilleure et plus variée qu’à bord de la Belle de Lormont. Dès le premier jour, Bernard eut la surprise de rencontrer Mondin qui, devant la cuisine, distribuait les rations de patates douces mêlées de pemmican.
— Ils ont déjà un chirurgien, dit-il. Je me suis fait engager comme aide-cuisinier.
— Vous allez rentrer en France, vous aussi ?
— Je ne pense pas. L’Amérique offre de vastes perspectives. Il paraît qu’on y manque de médecins.
Le dixième jour après le départ était un dimanche. Le capitaine Mac Nabb fit rassembler l’équipage face à la dunette et lut un verset de la Bible où il était question des plaies d’Egypte. Bien qu’il eût fait de grands progrès en anglais, Bernard ne comprit pas grand-chose au langage archaïque du Livre saint. Depuis le matin, il se sentait mal à l’aise, la tête dans le vague. Quand l’équipage entonna un cantique, il voulut se joindre au chœur, noyant sa voix incertaine dans les mugissements qui sortaient de la vaste poitrine de Sam Billings.
Soudain, tout devint noir. La dernière chose qu’il vit fut une mouette qui planait à l’aplomb du beaupré. Il sentit monter une nausée qui lui arrachait les tripes labourées par une violente douleur. La mâture bascula obscurément sous ses yeux tandis que ses jambes cédaient. Il perdit conscience.
Ce fut un rayon de soleil qui l’éveilla. Il détourna légèrement la tête et s’aperçut qu’il était couché sur une paillasse près d’un sabord ouvert. Un peu sur la gauche, il voyait, très loin au-dessus de lui, une poutre de chêne et, à droite, quelque chose qu’il identifia confusément comme un visage. Il lui parut s’écouler un temps interminable avant que la voix lui parvînt.
— Doctor ! he’s conscious again !
Il entendait comme à travers du coton. Puis la tête se montra de nouveau.
— Sven !…, souffla-t-il.
— Bernard ! you’re safe, bless you !
Une deuxième tête apparut. C’était celle de Mondin. Fraîche, une main passa sur son front, puis descendit palper son ventre.
— Plus de fièvre et le péritoine est souple, dit Mondin. Par prudence, je vais encore te mettre un vésicatoire, mais tu reviens de loin !
— J’ai été malade ?
— Quinze jours entre le coma et le délire. Si Sven ne t’avait pas veillé nuit et jour, tu ne t’en serais pas tiré !
— Qu’est-ce que j’ai eu ?
— La fièvre jaune que les Espagnols appellent le vomito negro. Normalement, on en meurt en moins de huit jours.
A mesure
Weitere Kostenlose Bücher