Marin de Gascogne
un peu de fraîcheur.
C’est alors qu’un léger bruissement lui fit prendre conscience qu’il n’était pas seul. Il écarquilla les yeux dans l’ombre. Une haute silhouette silencieuse se penchait vers son lit. La terreur nocturne des fantômes, venue des histoires de veillée que racontait tante Laure, remonta à sa gorge et lui hérissa le poil.
Il y eut un froissement d’étoffe et la silhouette prit la forme indistincte d’un corps nu. Un éclair lointain se joua sur une hanche et révéla un bras tendu vers lui. Une main se posa doucement sur son torse.
— Je suis venue t’apporter ta décoction, dit la voix de Suzanne Thilonier. Tout à l’heure, il pleuvait vraiment trop. As-tu dit tes prières ?
— J’ai… j’ai dormi…
— C’est très mal… Nous allons dire les prières ensemble, tu veux bien ?
Sans qu’il comprît comment, elle se trouva couchée à côté de lui, hanche contre hanche. Sa main continuait à caresser le corps moite du garçon.
— Répète après moi… Notre Père qui êtes aux cieux…
Elle passa le bras sous sa nuque et attira son visage vers le sien.
— Notre Père… qui êtes aux cieux…
— Que Votre nom soit sanctifié…
Leurs bouches étaient à se toucher et, quand elle prononçait les mots de la prière, il sentait l’effleurement de ses lèvres.
— Que… Votre nom… soit sanctifié…
— Que Votre Règne arrive…
Peu à peu, elle se glissait sur le dos, l’entraînant sur elle et le guidant de la main vers la porte béante du sanctuaire. Assourdi comme par la clameur des grandes orgues, Bernard entrait, ébloui, dans la somptueuse splendeur d’une cathédrale où s’allumaient mille cierges. Sa propre voix lui parvenait comme réverbérée par les infinis échos d’une voûte sans fond.
— Que… Votre volonté…
D’instinct, il découvrait des gestes qu’il n’avait jamais imaginés, comme on révèle des trésors enfouis. Montant des profondeurs pourpres et dorées, la voix de Suzanne, tantôt murmure, tantôt gémissement, scandait la prière au rythme de leurs corps. Le « Pardonnez-nous nos offenses » s’étouffa en un bouche-à-bouche profond et le « Délivrez-nous du mal » éclata en un double cri de délivrance et de triomphe. Bernard sentit son âme monter au ciel dans un Magnificat.
— Amen, dit Suzanne en saisissant la jarre à tâtons sur le sol. Tiens, bois pour reprendre des forces. Tu ne te tires pas trop mal du Pater, mais maintenant il reste tout le chapelet !
Le lendemain matin, Bernard eut du mal à s’éveiller. Il fallait pourtant qu’il aille au travail sur une des allèges qui transportaient le tabac et le sucre brut de la plantation au port. Il découvrit que, seul Blanc à bord, avec un équipage de douze esclaves, il était en fait commandant de l’embarcation et en conçut une juste fierté. Mais, malgré l’aide des esclaves, le travail était rude et, le soir, il retrouva sa chambre avec gratitude. Ses muscles, affaiblis par sa longue convalescence, étaient noués et douloureux au point qu’il redoutait une nouvelle visite nocturne de Suzanne Thilonier. Mais elle vint avec Flora à l’heure habituelle et, quand elle lui fit réciter son Pater et son Ave de la manière la plus sage du monde, il n’y avait pas la moindre trace de complicité dans ses yeux gris.
Bernard prit vite goût à son travail. A la plantation, pendant que l’on chargeait, il aimait se promener parmi les cases des esclaves, y retrouvant avec une sorte de nostalgie un peu de la crasse humble et familière du quartier des Carmes. Les esclaves n’avaient pas l’air trop malheureux, mais, de temps en temps, il rencontrait un homme dont le torse était marqué par les zébrures qu’il ne connaissait que trop bien. Les contremaîtres mulâtres avaient la chicote facile.
En une demi-heure de navigation tranquille sur le Patapsco, on arrivait au port où il pouvait flâner pendant le déchargement. C’est ainsi qu’il rencontra Sam Billings.
— L ’Abigail vient de passer au carénage, lui dit le marin, et on a refait tout le pont inférieur. Nous appareillerons sans doute en septembre. Pourquoi ne viendrais-tu pas avec nous ? Mac Nabb t’a à la bonne.
— Vous irez en France ?
— Du diable si je le sais ! Mais la mer, c’est toujours la mer !
De Sam Billings, Bernard apprit aussi que Claude O’Quin
Weitere Kostenlose Bücher