Marin de Gascogne
s’était installé à l’hôtel Acadia, en plein centre du quartier français, et qu’il y menait grand train.
C’est seulement un mois plus tard, à la fin d’août, que Bernard reçut une autre visite nocturne de Suzanne Thilonier. Elle fut toute différente de la première. Il avait encore plu dans la soirée et la chaleur était moins forte qu’en juillet. Ce furent des sanglots qui le tirèrent de son sommeil. Elle était debout à côté du lit, une chandelle à la main. Un léger peignoir entrouvert laissait deviner son corps pâle, aux seins menus et haut placés, au ventre plat et lisse où se jouaient des reflets de toison dorée.
Stupéfait, Bernard la regarda d’abord sans comprendre, puis il se redressa et tendit une main vers elle.
— Pourquoi pleurez-vous, mademoiselle ? Elle eut un sursaut de recul.
— Tu me le demandes, démon ? Le feu du péché que tu as réveillé en moi ne parvient pas à s’éteindre. Ni le jeûne ni la pénitence ne viennent à bout du désir coupable que tu m’inspires !
— Je vous désire aussi, mademoiselle.
— Fais voir !
D’un geste brutal, elle arracha le drap et resta un instant immobile, la respiration courte. Puis elle laissa couler son peignoir et souffla la flamme.
— Chandelle pour chandelle, dit-elle d’une voix rauque, je préfère celle-ci !
Avec une sorte de furie, des mains, de la bouche, des seins, elle se mit à besogner l’objet de son désir comme si le reste de Bernard ne comptait plus et n’était qu’un support de chair tourmentée pour le cierge vivant dont elle aspirait la flamme. Lui-même sentait tout son être se concentrer dans cette pointe dure de son corps et il lui sembla qu’il allait mourir quand le flux de vie s’épancha en un spasme presque douloureux.
Cette nuit-là, ce ne fut pas une grand-messe chantée, mais une longue descente aux Enfers, amère et délectable, entrecoupée d’épisodes pathétiques quand Suzanne griffait la peau de Bernard en gémissant son repentir.
Tard dans la nuit, avant de s’en aller, elle exigea qu’ils récitent l’acte de contrition à genoux contre le lit, bouche contre bouche, poitrine contre poitrine, cuisses contre cuisses.
Bernard s’éveilla perturbé et mal à l’aise. Il était en train de se demander quelle excuse il allait pouvoir trouver pour ne pas se rendre au travail, quand Joseph, l’esclave aux cheveux blancs, vint le chercher de la part du maître.
— J’ai pensé, dit Prunes Duvivier, que tu serais heureux d’apprendre les nouvelles que je viens de recevoir de France. Le tyran Robespierre a été guillotiné à son tour et la Raison prévaut enfin dans notre pays.
— On va remettre un roi ?
— Que non pas ! La République continue, mais plus sagement. Elle a même remporté des succès militaires considérables. Il faut maintenant rétablir le pouvoir des gens de bien.
— Qui remplace Robespierre ?
— Je ne sais pas encore, mais il paraît qu’on parle beaucoup d’un certain Tallien.
— Je le connais. Il est passé par Langon quand il était représentant en mission à Bordeaux. C’est un vrai Montagnard.
— Il y a Montagnard et Montagnard. Il paraît que celui-là est amoureux. C’est bon signe.
— Je vais pouvoir rentrer en France ?
— Peut-être pas tout de suite, mais tu pourras retourner à la Guadeloupe si le cœur t’en dit. Victor Hugues, le commissaire envoyé justement par Robespierre, est en train de bouter les Anglais dehors et de rendre les îles à la France. Mais il va avoir de sérieuses difficultés de ravitaillement. J’imagine que bon nombre d’armateurs américains n’hésiteront pas à courir des risques pour lui venir en aide à prix d’or. C’est une bonne affaire. A l’automne, tu trouveras certainement un navire, si du moins tu désires nous quitter. Tu ne te plais pas avec nous ? J’espère que Suzanne te traite bien et qu’elle prend soin de ton âme.
— Elle en prend soin, oui, monsieur.
— Il faut en prendre et en laisser. La religion n’est pas une mauvaise chose, surtout pour le peuple, mais c’est comme le vin : quand on en abuse, cela fait tourner la tête !
Il y avait comme une lueur amusée dans son regard mais, s’il était au courant de la vie secrète de Suzanne, il n’en laissa rien deviner.
Dans les premiers jours de septembre, le beau temps s’installa, plus tiède
Weitere Kostenlose Bücher