Marin de Gascogne
marquait le rythme de la main droite sur son tambour. Menée par les Basques bondissants, la farandole gagnait de proche en proche la foule qui se pressait autour du groupe. Soudain, sur une note suraiguë, le musicien s’interrompit, ôta son béret et se jeta à genoux, imité par ses compatriotes. Sur une cadence étrange et lente, il modula une mélodie que Bernard reconnut aussitôt : c’était l’ Agur Jaunak, le Salut au Seigneur. Navarrot l’avait joué plus d’une fois sur la Garonne quand le courau venait d’échapper à un danger.
C’est alors qu’il vit Navarrot lui-même, forci, tanné, buriné, mais bien reconnaissable. Dès que la mélodie s’acheva, en deux bonds, il fut sur lui. Pris par surprise, le Basque écarta l’importun d’une manchette que Bernard para avec son bâton.
— Navarrot ! Ne me coneishes pas ?
Les autres Basques se rapprochaient, menaçants. Navarrot les arrêta d’un geste.
— Je m’appelle Inaki Iturralde. C’est sur la Garonne seulement qu’on me disait Navarrot. Qui es-tu, toi ?
— Je suis le fils d’Hazembat ! Nous avons navigué ensemble sur l’ Aurore ! Tu ne te souviens pas ?
L’autre le regardait en clignant des yeux, méfiant.
— Si, maintenant je te reconnais. Tu es le petit Bernard, mais tu as grandi !
Soudain, son visage se craquela de mille rides souriantes.
— Agur, Bernardchu ! Les vieux amis sont les bienvenus !
Le campement des Basques était sur la route de Lugo, à proximité d’une des petites chapelles que Bernard avait entendues carillonner le matin. Il y avait un grand feu, des saucisses rouges, de l’agneau grillé, du pain de froment et du vin dans de grosses botas de peau de bouc. Après le jeûne du voyage et les épreuves qui l’avaient précédé, ce fut le plus somptueux dîner pascal que Bernard eût fait de sa vie.
— Comment se fait-il que tu sois devenu pèlerin ? demanda Navarrot. Je te croyais plutôt sans-culotte.
Bernard raconta son naufrage et le vœu qu’avait exigé de lui Don Pedro.
— Nous, c’est pareil ! Ceux que tu vois ici sont les survivants de la corvette Santa Maria de Begona qui a sombré l’hiver dernier devant le cap Machichaco. Nous sommes tous basques. Il y a quelques Guipuzcoanos comme moi, mais ce sont presque tous les Vizcainos de Bermeo, autant dire des sauvages. Todos locos, Bermeanos !
Il y eut un gros rire autour du feu et les botas passèrent de main en main. Tandis que les matelots chantaient à plusieurs voix des mélodies nostalgiques, Bernard apprit que, peu de temps après son propre départ, Navarrot, las des tracasseries que lui infligeait la garde nationale comme sujet d’une puissance ennemie, avait résolu de regagner Fontarabie. Il était parti avec un des charrois de Busquet Dumeau, avait traversé à pied la Chalosse et le Béarn, puis, remontant la vallée d’Aspe, avait franchi la frontière au col de Pau avec l’aide des bergers de Lescun qui, moitié basques, moitié béarnais, étaient aussi fous, brigands et cœurs d’or que les Bermeanos. Il avait ensuite gagné Irun par les sentiers de la Haute-Navarre. On y faisait le coup de feu entre Français et Espagnols de part et d’autre de la Bidassoa. Fontarabie était en état de siège et le fort donnait du canon contre les batteries d’Hendaye qui ripostaient ponctuellement. Navarrot trouva sa maison familiale détruite et ses parents réfugiés chez un cousin qui tenait une tasca dans le hameau proche d’Urdabinia. C’est là, dans la salle de la taverne, qu’il se fit cueillir par une patrouille de la Marina Real qui le recruta de force avec une douzaine de ses camarades.
La Santa Maria de Begona participait aux opérations militaires en tirant de temps en temps quelques bordées sur les gabions français d’Hendaye et en surveillant le port de Saint-Jean-de-Luz. Quand survint la paix avec la France, elle alla s’ancrer dans le port de Pasajes où elle resta plusieurs mois jusqu’au moment où elle reçut l’ordre de rejoindre la flotte au Ferrol.
— C’était en plein pendant les tempêtes de la mi-décembre. Avec les officiers qui nous arrivèrent quelques jours avant l’appareillage, tous des nobles enrubannés qui savaient à peine distinguer la poulaine de la galerie, nous n’avions pas une chance. Au premier coup de chien de nord-ouest, nous avons été drossés sur les rochers de San Juan de Gastelugache. Ce
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