Marin de Gascogne
de la Cerca, la Cathédrale et, très loin, hors la ville, vers la gauche, la collégiale de Santa Maria del Sar.
Bernard se laissa porter par la cohue jusqu’aux premières maisons. Bateleurs et marchands se pressaient de chaque côté de la rue de plus en plus étroite. Don Pedro lui avait dit qu’il se glissait beaucoup de coupe-bourse parmi eux mais, comme il n’avait pas un maravédis en poche, il ne s’en souciait guère. La fumée des étals de nourriture, mêlée à l’âcre senteur des cierges, le prenait à la gorge. Serré de toutes parts, il ne pouvait avancer qu’en suivant le piétinement lent de la foule. Parfois, il lui fallait s’écraser contre un mur pour laisser le passage à un cortège de pénitents encagoulés ou à un carrosse empanaché qui laissait entrevoir les mêmes visions aristocratiques et dorées qu’à La Havane.
De rue tortueuse en venelle, il suivit ainsi toute la matinée le chemin des pèlerins, la tête sonnante de litanies, de cantiques, de boniments et de carillons. Un gamin malingre, qui volait des galettes à l’étal d’un boulanger, croisa son regard, lui fit un clin d’œil, lui en glissa une dans la main et disparut. Quand il voulut la rendre au marchand, entraîné par la foule, il était déjà hors de portée. Haussant les épaules, il mordit à belles dents et recracha aussitôt la bouchée : c’était une farine inconnue, au goût âpre et sur. Il fourra le reste de la galette dans sa poche.
Il devait être midi passé quand il déboucha enfin devant la basilique, sur une sorte de place où l’on se mouvait plus à l’aise et où sa stature lui permettait de dominer les têtes. Loin devant lui, on faisait cercle autour d’un groupe de paysans qui dansaient au son de la cornemuse. Plus loin encore, il entendait les sons aigus d’un chistu basque.
Toujours porté par la foule, il gravit les marches de la basilique et franchit l’immense portail. Droit devant lui, se dressait un pilier massif contre lequel les pèlerins allaient appuyer la main. Il les imita et aperçut à la base du pilier une figure d’homme à la bouche béante dans laquelle on jetait des offrandes. Fouillant sa poche, il en tira le morceau de galette et l’enfourna dans le gosier de l’affamé.
Dans la haute nef, enfumée d’encens, des escouades de sacristains faisaient régner un semblant d’ordre. Les pèlerins étaient canalisés vers le bas côté de droite pour gagner lentement le maître-autel devant lequel une trentaine de moines alignés donnaient la communion. En attendant son hostie, Bernard leva la tête pour regarder, accroché à la voûte, l’encensoir géant qui déversait des volutes de fumée bleue dans le fracas des grandes orgues. La statue somptueusement parée qui trônait au-dessus de l’autel devait être celle de saint Jacques. Bernard lui trouva un faux air de Lesbats.
Après la communion, les pèlerins faisaient le tour de l’autel par le déambulatoire. A mi-trajet, une échelle permettait d’aller baiser le manteau du saint. Consciencieux, Bernard posa sa bouche sur l’étoffe poussiéreuse et grasse de mille sueurs et salives. A la sortie du déambulatoire, une autre escouade de sacristains bien nourris faisait sonner significativement des sébiles de bois. Etant parmi ceux qui n’avaient rien à donner, Bernard fut rapidement expédié vers la sortie par le bas côté de gauche. On permettait aux pèlerins plus généreux de s’attarder dans le transept pour contempler, hiératiques, cousus d’or et de dentelles, les prélats et les nobles d’Espagne qui garnissaient la nef et les tribunes.
Quand il eut franchi le portique, Bernard respira avec délices l’air libre qui, une heure plus tôt, lui avait paru pestilentiel. Il retrouvait, ravi, la foule piétinante, bruyante et misérable. Il se retourna pour regarder la haute façade tarabiscotée de pierre blanche et cracha.
C’était vraiment une pénitence sévère que Don Pedro lui avait imposée là. Maintenant, il était quitte.
Jouant du bâton, il fonça dans la cohue sans trop savoir où il allait. Le son du chistu accrocha de nouveau son oreille. Il fendit la foule dans cette direction. Le groupe des Basques était reconnaissable aux grands bérets, aux gilets de bure brune et aux ceintures rouges. Quand il arriva, le chistu jouait une sarabande qu’il avait déjà entendue, un soir de l’été 1789, sur les quais de Langon. Le musicien
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